Il était une fois une petite rivière
au passé entaché de maintes luttes de pouvoir.
Pendant de nombreux siècles elle demeura frontière;
abandonnée, elle s’effaça de nos mémoires.
Cette rivière prend sa source en Thiérache, à Fontenelle (Aisne), lieu dit « le Garmouzet » à 215 mètres d’altitude et sa longueur est de 20,3 kilomètres. D’abord appelé ruisseau de Beaurepaire sur environ 2,5 kilomètres elle prend ensuite le nom de Rivièrette à Beaurepaire sur Sambre, puis arrose Prisches et Le Favril avant de se jeter dans la Sambre à Landrecies.
La vallée de la Rivièrette se situe entre celle de l’Helpe Mineure qui passe à Boulogne-sur-Helpe, Cartignies, Maroilles et celle de l’ancienne Sambre qui prend sa source dans le bois de La Haie-Equiverlesse, sur la commune de Fontenelle (Aisne), traverse le Nouvion-en-Thiérache, Barzy en Thiérache, avant de longer Bergues-sur-Sambre et Fesmy.
Le bassin versant de la Rivièrette se trouve de nos jours dans l’Avesnois. Cependant autrefois la Rivièrette servait de limite entre ce qui allait devenir d’une part l’Avesnois et d’autre part la Thiérache. Nous allons tenter de retracer le parcours historique de cette petite rivière qui vit donc évoluer sa frontière au fil du temps. En connaitre son évolution est une façon de comprendre les limites actuelles entre le Nord et l’Aisne dans cette région bien précise.
La vallée de la Rivièrette : aux origines, une forêt frontière.
Cette vallée peu encaissée est longue de vingt kilomètres et large d’environ quatre kilomètres.
Elle ne recèle pas de traces anciennes d’occupation humaine, tant à l’époque des chasseurs du Paléolithique que des cultivateurs du néolithique, contrairement à sa vallée voisine l’Helpe Mineure où plus particulièrement à Maroilles, aux Basses Pâtures, la découverte d’outils en silex ont mis en évidence une occupation humaine remontant au Paléolithique Supérieur, particulièrement dense au mésolithique et se prolongeant au néolithique (J P Fragnart, le site épipaléolithique des Basses-pâtures à Maroilles étude préliminaire Villeneuve-d’Ascq 1979 Revue du Nord T LXI pp 755-764) (J Vaillant, le gisement mésolithique de Maroilles 1999 Société Archéologique et historique de l’arrondissement d’Avesnes T XXXV pp 11-20)
La vallée de la Rivièrette n’est le témoin, semble t-il, d’aucun vestige d’habitation ni d’aucun objet laissé par les civilisations protohistoriques (Age du Bronze 1800-800 av J-C et le 1er âge du fer à savoir le Hallstatt 800-450 av J-C). Elle parait inhabitée alors qu’au-delà de cette vallée, la présence humaine est avérée aussi bien, toujours à Maroilles, aux Basses Pâtures avec les trouvailles d’une perle biconique en verre bleu et des tessons de pelves et de terrines mais aussi dans la forêt de Mormal dans la section de Landrecies. Ici, dans cette section, canton de la Rouge-Mer, on mit au jour en 1829 deux vases funéraires et vers 1980 on repéra des restes de constructions dans les berges du ruisseau de l’Abime et de ses affluents (Roland Delmaire carte archéologique de la Gaule, le Nord, Paris 199- p 324)
Lors de la culture de la Tène, dans la période la plus récente, c’est-à-dire entre environ entre 70 et 25 av J-C, quelques renseignements nous sont transmis par des auteurs latins et notamment César sur la région qui nous intéresse. Le peuple des Nerviens occupait alors la région où il s’était installé lors des mouvements de population que connut le nord de la Gaule au IIIe et II e siècles avant note ère. A cette époque de la Nervie celtique, la vallée de la Rivièrette forme alors la limite entre les Nerviens, les Rèmes de Champagne et les Viromandui (Vermand et Saint-Quentin). Elle est à la périphérie des limites des cités politiques et culturelles de ces trois peuples d’époque gauloise et gallo-romaine. Sa limite n’est pas une frontière comme ce mot est sous-entendu de nos jours mais un espace frontalier, une marche forestière dont les principales caractéristiques devaient être les suivantes : « un espace moins défriché que le centre de la cité, moins peuplé, et certainement moins fréquenté » (Forêts et frontières JJ Dubois JP Renard 1984). Cette forêt frontière expliquerait l’absence de toute découverte d’établissement humain de quelque importance, de nécropole ou même d’objets isolés dans la vallée de la Rivièrette, à l’exception peut-être d’une villa gallo-romaine à Lignières sur le territoire actuel de Prisches.
Le cours de la Rivièrette : une frontière linéaire suite à différents traités.
A la suite du déclin de l’autorité romaine et de la chute de l’Empire Romain, des Francs Saliens s’installent au Ve siècle dans la région. Sont issus de ces peuples les Mérovingiens dont Clovis fut l’un des premiers rois. A sa mort en 511, son royaume est partagé entre ses fils : la Neustrie revient à Clotaire et l’Austrasie à Thierry. La vallée de la Rivièrette sert encore à cet endroit de limite entre ces deux royaumes et est toujours recouverte de forêts. La rive gauche est couverte de forêts qui reçoivent le nom de Theorascia Sylva, la forêt de Thierry, d’où vient le nom de Thiérache. La rive droite fait partie de la vaste forêt charbonnière qui prend progressivement dans ce territoire au fil des défrichements le nom de haies comme par exemple la haie Cantelaine à Beaurepaire-sur-Sambre ou bien encore la haie de Cartignies. La vallée semble par conséquent très peu habitée voire inhabitée contrairement à la vallée de l’Helpe Mineure où toujours à Maroilles, en son centre, on découvrit en 1970 lors de la réparation du parvis de l’église Sainte-Marie, des urnes biconiques provenant de tombes mérovingiennes. On peut donc supposer que ce fut dans une zone cimétériale qu’aurait pu être édifié une chapelle, devenue église paroissiale et qui aurait servi de première abbatiale à la communauté monastique créé par Rodobert vers 650-660 (Contribution à la connaissance de l’histoire ancienne de l’abbaye de Maroilles J L Boucly).
En 843, le traité de Verdun pérennise la séparation de l’Avesnois et de la Thiérache. Ce partage de l’empire carolingien entre les trois petits fils de Charlemagne octroie à Lothaire Ier la Franchie médiane qui comprend le Hainaut dont fait partie la rive droite de la Rivièrette. La rive gauche fait partie de la Franchie occidentale de Charles le Chauve. La Rivièrette sert encore de limite en 870 au traité de Meerssen entre le comté du Hainaut de Louis le Germanique et celui du Cambrésis de Charles le Chauve.
Un acte privé et exceptionnel daté de 875 nous apporte la preuve que la rive gauche de cette rivière qui porte alors le nom de rivière de Fesmy est bordée d’un vaste domaine rural, couvert de terres et de bois, dans le diocèse de Cambrai.
L’analyse de ce document est la suivante : « Le quatre des ides d’août la trente-sixième année du roi Charles, devant le tribunal de Saint-Géry de Cambrai, Henri donne à son fils Warmund une terre et un bois sis à Fesmy, bordés par les terres fiscales de Péronne et de Dorengt ainsi que par la rivière du Fesmy, dans le pagus de Cambrai ».
La trente-sixième année du roi Charles est celle de Charles le Chauve entre le 20 juin 875 et le 20 juin 876. A cette date, le diocèse de Cambrai fait encore partie du royaume des Francs occidentaux, puisque le fils de Louis le Pieux s’est emparé de la Lotharingie en 865 et que le traité de Meerssen lui a donné cette partie du royaume disputé à Louis-le-Germanique. Lorsque Fesmy fut donné à Warmund en 875, ce dernier, comme le prouve l’épithète de venerabilis, était probablement l’abbé de Saint-Géry. La terre a dû alors passer à la mort du récipiendaire dans le patrimoine foncier du monastère. En 911 ce monastère fut donné en totalité à la cathédrale Notre-Dame de Cambrai, avec ses biens fonciers.
La Rivièrette sert encore de limites d’un forestum donné en 995 à l’évêque de Cambrai par l’empereur Otton III.
On entend par forestum un droit de chasse et de pêche sur une certaine étendue de terre aussi surveillée qu’un bien fiscal et sur laquelle il était interdit de construire ou de défricher.
Pour limiter cet espace, le rédacteur de l’acte de 995 utilisa des repères géographiques. En longueur, il s’étendait depuis le mons Sauvlonir jusqu’à l’endroit ou l’Helpe ultérieure se jette dans la Sambre. En largeur, ses limites est et ouest étaient constituées par la villa Basius jusqu’a un endroit nommé Gurgunces. A l’ouest et au nord, elles suivaient le cours de la Sambre puis la rive droite de l’Helpe ultérieure.
Lieu élevé sur le cours de la Haute Sambre, le mons Sauvlonir pourrait être le village de Bergues-sur-Sambre dont le nom germanique correspond à l’appellatif géographique latin Mons. L’hydronyme Elpe, très fréquent en Avesnois pour designer un cours d’eau, n’est pas nécessairement un nom propre. Nous l’entendons comme un nom commun s’appliquant à des rivières comme l’Autreppe et la Rivièrette. En largeur, ce forestum s’étendait depuis la villa Basius, que l’on traduit généralement par Barzies, jusqu’à Gurgunces, c’est à dire Gourgouche. Ce toponyme est cité plusieurs fois dans les archives de la commune de Catillon-sur-Sambre (Actes de 1703 et de 1791). Il désignait une propriété sise sur la rive droite de la Sambre et proche du «pré Verdelaine».
L’Helpe ultérieure n’est pas l’Helpe Mineure comme le prétendent certains historiens (M Rouche Histoire de Cambrai 1982) mais bien la Rivièrette. Fixer la limite de ce forestum à l’Helpe Mineure serait en totale opposition avec l’histoire des terres allodiales et monacales situées au-delà de la Rivièrette.
Le recul de la frontière et ses causes (XII XIII e siècles)
Ainsi délimité ce forestum correspond parfaitement au territoire qui fut l’’objet de nombreuses contestations aux XIIe et XIIIe siècles entre Nicolas d’Avesnes, promoteur des défrichements, et les autres parties concernées : l’évêque de Cambrai et les abbés de Maroilles et de Fesmy.
Ce vaste territoire de chasse est borné au nord par une forêt que l’on nomme Pérés et qui donnera le nom de Prisches. Pérés évoque les Pierres, probablement celles que l’on a dressées aux Vallées. Pérès est initialement un alleu détenu par Amaury de Bérelles, moine à Liessies qui fit donation de sa terre à son abbaye. Par échange ou par vente ce territoire fut en possession de Nicolas seigneur d’Avesnes. Certains historiens dont Michaux l’ainé ont cru voir, à tort, dans Pérès le village de Preux-au-Sart. Les seigneurs d’Avesnes n’ont jamais détenu de possessions dans ce village.
Prisches est l’un des premiers villages avec lequel le seigneur d’Avesnes traitera pour rédiger la fameuse charte de 1158. Cette charte permit aux Prischois, moyennant quelques redevances, de s’affranchir de leurs seigneurs, le village obtenant son autonomie en étant dirigé par un maire, secondé par des échevins ou jurés. Suivirent les chartes de le Favril en 1174 et de Landrecies en 1191. Nicolas avait en effet accordé ces chartes pour contrer le développement de l’abbaye de Maroilles, et pour satisfaire ses paysans las des abus d’autorité. Cette loi de franchise faisait de ses hommes des bourgeois dont Nicolas reconnaissait les droits alors que sur les terres de l’abbaye ils restaient des serfs. En contre partie, cette émancipation voulue par Nicolas lui permettait d’attirer une nouvelle main-d’œuvre indispensable pour le défrichement de sa seigneurie.
Les habitants de Prisches puis ceux de le Favril et de Landrecies étendirent le défrichement au sud de la Rivièrette, facilitant ainsi l’essor démographique de cette région. Au Favril, même si le monastère de Maroilles a pu y posséder un ancien domaine nommé Montiniacum, (Georges Tessier recueil des actes de Charles le Chauve Paris 1952 T II p 240) les défrichements et la création de ce village-rue furent l’œuvre des seigneurs d’Avesnes (Charles Duvivier Recherche sur le Hainaut ancien… Bruxelles 1865 acte XIII pp 285-287). Beaurepaire-sur Sambre doit également au XII e siècle son origine au défrichement partiel de la « Haie de Cartignies », à la limite de la Rivièrette.
Ces défrichements furent l’objet de luttes de pouvoir entre le pouvoir seigneurial local et le pouvoir religieux lié à ce territoire nouvellement mis en valeur.
Ainsi, la charte de Fesmy de 1166 définit les droits respectifs de Nicolas et de l’’abbé pour la partie de Prisches située au sud de la Rivièrette (l’Abbaye et le Cartulaire de Fesmy R Minon S.A.A.A 1901 t V pp 78-79). Celle du Favril de 1174 concerne également la juridiction sur la partie de la paroisse située «oultre Sambre» (Cartulaire de la Terre d’Avesnes traduction M Leclercq S.A.A.A 1907 t VII Actes 18 et 65). En 1224 encore, il y eut des lettres d’apaisement entre l’évêque de Cambrai et le seigneur d’Avesnes concernant l’eau, les clôtures et le bois de La Folie situés au sud de Landrecies. Déjà sur les hauteurs de ce hameau, à Diégnies ou Dignies les seigneurs d’Avesnes avaient un moulin (Cartulaire de la Terre d’Avesnes pp 52 et 55).
Signalons également que le seigneur d’Avesnes Gauthier, petit fils de Nicolas, attribua aux Templiers un domaine situé sur le territoire de le Favril entre ce village et le Sart. Cette attribution était en vue d’honorer la mémoire de son père Jacques qui s’était battu à leurs côtés mais surtout il suivait sa politique de contre-pouvoir aux abbayes en interposant un ordre religieux plus strict et un nouveau partenaire dans le territoire du Favril : le commandeur était en effet seigneur haut justicier. Le Favril était alors un territoire dont la situation était importante car, situé entre Prisches et Landrecies nous savons que le commerce était à cette date important entre les deux villes.
La politique de Gautier est une politique d’échecs aux abbayes (Maroilles et Fesmy qui elles aussi possèdent des biens limitrophes) et il se sert des Templiers dont les rapports sont souvent tendus avec le clergé séculier car les Templiers sont autorisés par bulles papales à effectuer une quête, une fois l’an, dans chaque église. D’ailleurs l’église de Maroilles ne semble pas être dupe de cette politique : c’est la raison pour laquelle au mois d’octobre 1252, Nicolas, évêque de Cambrai déclare que lui et son Chapitre ont donné aux frères du Temple, dans les terres qu’ils possédaient entre Favril et le bois de Toillon, « inter Favillum et nemus de Tiwlon », huit mencaudées de terre pour y bâtir une grange et une maison, à la charge d’une rente annuelle de 14 sols parisis, qui devait être payée à la Noël de chaque année à l’évêque et à ses successeurs. (Arch. Nat. S495 Suppl. n°69).
Remarquons enfin que cette rivalité entre tous ces seigneurs de l’époque s’est traduite par la toponymie des lieux-dits de cette région limitrophe. On y trouve ainsi à Prisches le hameau de la Comté ou bien encore le Donjon en souvenir du propriétaire d’Avesnes. De l’autre coté de la rivière on y trouve le Petit Sart l’Évêque ou bien encore le Bois l’Évêque.
Conclusion
Tout d’abord, l’Histoire nous apprend que la Rivièrette porta à l’origine le nom de Rivière de Fesmy en référence au domaine rural de ce même nom. Puis elle fut désignée sous l’appellation d’Helpe Ultérieure au Xe siècle, pouvant être traduite par la rivière derrière en se positionnant par rapport à Cambrai. Au XII e siècle elle se décline sous le nom d’oultre Sambre. Quelques siècles plus tard elle fut appelée la Sambrette. Les changements de nom de cette petite rivière expliquent que le nom actuel de Rivièrette ne soit pas d’origine germanique comme le sont les rivières voisines l’Helpe ou l’Autreppe.
Ensuite nous avons vu que ce désert forestier devenu au XII et XIII e siècles un espace déboisé fut l’objet d’une lutte féroce pour la propriété et le pouvoir. Cette lutte se traduisit par un recul de la frontière au delà de la Rivièrette qui constituait alors depuis des siècles une frontière historique.
Enfin, cette nouvelle frontière persista jusqu’en 1659, date à laquelle le traité des Pyrénées, délimitait les Pays-Bas méridionaux du royaume de France. Elle devint avec la création des départements la frontière administrative entre le Nord et l’Aisne. Sa limite est devenue sur le plan géographique la frontière entre l’Avesnois et la Thiérache. Ce territoire est toujours de nos jours séparé par les divisions de l’histoire ou de l’administration départementale et régionale. Cependant la reconnaissance d’une entité régionale de Grande Thiérache chevauchant le Nord et l’Aisne serait un phénomène politique et économique favorable à ce territoire herbagé marqué par une faible tertiarisation de son économie et ce en vue d’apporter un certain dynamisme à cette région.
Sources :
Forêts et frontières J.J Dubois
https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1984_num_2_1_935
Recherches sur le Hainaut ancien
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k504013k/f14.item
La Thiérache
https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1901_num_10_51_4937
Un acte privé carolingien de l’Église de Cambrésis M Rouche
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1980_num_124_2_13728
L’Avesnois Thiérache un système régional frontalier ?