Pierre bleue et Marbre de l’Avesnois

La pierre bleue est un matériau emblématique de l’Avesnois constituant une véritable richesse depuis l’Antiquité. Une autre roche également noble est présente dans le sous-sol de notre région : le marbre dont les premiers signes de son activité remontent au XVIIIe siècle. Aujourd’hui , la plupart des carrières et des marbreries ont disparu, mais l’âme de la pierre bleue et du marbre reste ancrée dans les mémoires.
Je vous propose de partir à la découverte de ce patrimoine en relatant l’histoire de ses carrières et de ses entreprises et en évoquant simultanément les représentations actuelles de cet héritage.
Signalons tout d’abord que la pierre bleue et le marbre sont des calcaires durs, d’origine sédimentaire et plus précisément marine. Leur formation se situe entre le Dévonien moyen et le Carbonifère inférieur, c’est à dire l’intervalle de 50 millions d’années qui se situe entre -380 et – 330 millions d’années. A cette époque, l’Avesnois était approximativement entre l’équateur et le tropique du Cancer, submergée de petites mers très calmes, très chaudes dans lesquelles foisonnaient des organismes marins. En mourant ceux-ci se déposèrent et provoquèrent ce que l’on appelle l’accumulation de sédiments atteignant à certains endroits 500 mètres d’épaisseur. Cette sédimentation a permis la formation de ces deux familles de roches évoquées ci-dessus dont les caractéristiques différent légèrement selon leur date de formation et donc selon des paramètres physico-chimiques du milieu dans lequel elles évoluèrent.


LA PIERRE BLEUE DE L’AVESNOIS

La Pierre bleue est une roche calcaire compacte d’âge primaire constituée par des coraux, des algues ou des crinoïdes et sont souvent riches en fossiles. Elle doit sa couleur à la matière organique enfermée à l’abri de l’oxygène de l’air, dans un milieu aqueux qui lui confère cette teinte oscillant du gris-bleu au bleu-noir.
Certaines de ses couches se sont formées au Dévonien, aux étages Givétien et Frasnien c à d entre -380 et -360 millions . Elles affleurent dans le secteur de Bavay-Gussignies et dans celui de Fourmies- Wallers en Fagne.
D’autres bandes se sont constituées au Carbonifère aux subdivisions Tournaisien et Viséen (entre – 360 et -330 millions). Elles se trouvent orientées globalement Ouest-Est et concernent l’axe Marbaix-Sars Poteries, la ligne Bachant-Ferrière la Petite et le secteur Etroeungt Avesnes.


Le secteur de Bavay Gussignies

La sciotte

Les premières traces du travail de la pierre bleue remontent aux chantiers gallo-romains de la cité Bagacum, l’actuelle ville de Bavay. Ses édifices antiques sont un exemple de la mise à profit des qualités à la fois architecturales et esthétiques de ce matériau. Les carrières de Houdain-lez-Bavay et de Bellignies ont fourni la pierre nécessaire à la construction de tous les édifices somptueux édifiés par les romains du II au IVe siècle de notre ère. Ici le calcaire était appelé sarrazyn et l’existence de ces anciennes et nombreuses galeries sur ces deux communes sont connus sous le nom de « trous des Sarrazyns ».
Ces grottes présentaient des galeries hautes de 2 m. Leurs orifices ont été bouchés au XIX e siècle. Dans les années 1970, les travaux d’extraction ont défoncé le sol et l’exploration est devenue impossible (En flanant dans l’Avesnois Jean Mossay 1974).

Chapelle à Bellignies de la fin du Moyen Age (XV e siècle)

Au Moyen Âge et par la suite plus particulièrement au XIX e siècle, on utilisa la pierre bleue principalement pour les monuments architecturaux, le dallage des parvis de certaines églises mais aussi pour les fondations des maisons, voire les murs des habitations associés avec la brique rouge. (Seuils, linteaux, chainage des fenêtres etc). Ces constructions plus ou moins anciennes que sont les églises avec leurs pierres tombales, les vieux cimetières, les maisons, les moulins, les oratoires, … ornent encore de nos jours les paysages de l’Avesnois et en font tout leur charme. La pierre bleue ainsi omniprésente dans la composition architecturale des maisons et des monuments historiques est un élément important du bâti en Avesnois.
La pierre bleue était également d’une très grande utilité à l’intérieur des maisons (avant l’arrivée du chauffage central) avec les cheminées avesnoises typiquement travaillées à la boucharde et à la gravine. Au coin de ces cheminées imposantes il faisait bon y faire la veillée en se racontant des histoires.
De nos jours on emploie ce matériau dans tous types de pièces pour la décoration, en revêtement de sol, parement mural, plan de travail, évier… La pierre bleue est une pierre à bâtir mais également une pierre d’ornement.
Dans la vallée de l’Hogneau coule une rivière au bord de laquelle étaient installées la plupart des marbreries (pierre bleue et marbres).
Ainsi Bellignies possédait de nombreuses carrières de pierre bleue (les premières à être exploitées) ou de marbre (comme nous le verrons ultérieurement).
Ici le musée du marbre et de la pierre bleue retrace l’histoire de ces entreprises et de ces ouvriers qui faisaient vivre le village. Alors qu’il y avait une vingtaine de marbreries plus ou moins importantes, l’Art de la pierre est de nos jours le seul artisan travaillant la pierre bleue à Bellignies. Une seule carrière aujourd’hui existe sur le territoire dont la finalité n’est plus la pierre bleue ou le marbre mais l’industrie de granulats utilisés notamment pour faire du béton, du ciment , les enrobés, le ballast ferroviare ou bien encore pour l’usage des particuliers.
A Hon-Hergies en 1836, on comptait 7 carrières de pierre bleue. A la fin des années 1970 il y avait encore une dizaine d’entreprises dans la région de Bavay avec des petits ateliers employant une ou deux personnes. Il n’y eut par la suite que deux grosses entreprises qui elles-mêmes disparurent, le marché ayant quitté nos frontières. Toutes les marbreries aux alentours ont donc fermé sauf une irréductible à Hon-Hergies tenue par la famille Walqueman depuis 1903. Dans cette mabrerie on y travaille plus particulièrement la pierre bleue extraite dans une carrière en Belgique.

Taille de la pierre à l’entreprise Walqueman. Photo du site.

Cette entreprise a traversé et surmonté les crises de ces dernières décennies grâce à la mise en valeur de son savoir faire acquis depuis des générations. Ses ouvriers continuent de travailler dans la tradition, transmettent les gestes et le savoir des anciens, participent à la restauration du patrimoine et sauvent à leur manière la mémoire de nos villes et villages (la vallée du marbre et de la pierre bleue émission FR3 du 23 février 2017).

Gussignies NA1: Ancienne Carrière 1926 - Autres Communes
Carrière à Gussignies en 1926

A Gussignies subsistent quelques traces témoignant de ce passé de la pierre bleue comme une carrière même si la nature a repris une bonne partie de ses droits. Parmi ses nombreuses actions le centre d’initiatives pour l’environnement à Gussignies sensibilise les jeunes et les moins jeunes à la richesse du sol et l’histoire du village. Ce CPIE bocage de l’avesnois apporte notamment des explications concernant l’extraction des pierres. Celle ci se faisait en utilisant des pièces de bois très secs de forme pointue (appelés des coins). On les mettait dans les fentes de la roche, on les aspergeait d’eau pour qu’elles gonflent et en gonflant elles faisaient éclater la roche. On pouvait ainsi récupérer de très gros blocs.

Carrière de Bettrechies

A Bettrechies de nos jours une carrière est exploitée par la societé S.E.C.A.B. « Elle est ouverte dans un synclinal très ouvert, dessiné par le Calcaire de Givet, argileux et riche en matiere organique, qui foumit la « pierre bleue ». Cette carrière a revélé de nombreuses structures tectoniques (clivage, plis polyphases, chevauchements) dont il est difficile de soupconner la presence à partir des affleurements bien connus dans la vallee de la Meuse. … Par ailleurs, cette carrière permet d’illustrer d’une facon particulierement pédagogique les notions de discordance et de transgression : « sarrazin » du Cénomanien et mames du Turonien sur le Givetien » (Bulletin de la Société d’histoire naturelle des Ardennes 1989).

Le secteur de Fourmies-Wallers en Fagne

NORD  59  FOURMIES  CARRIERE DU HAUTY  INDUSTRIE - Fourmies
Carrière du Hauty à Fourmies : Carrière d’ardoise à la limite de Mondrepuis (02)

A Fourmies même il n’y a pas eu de carrière de pierre bleue mais une carrière d’ardoise appelée carrière du Hauty située à l’extrémité sud de Fourmies et plus principalement sur Mondrepuis.
A Wallers-en Fagne, la pierre bleue était jadis extraite dans une vingtaine de carrières à ciel ouvert. Plus de 70 familles du village vivaient, autrefois, de l’extraction, de la taille, du sciage et du chauffournage. Toutes les constructions anciennes sont en pierre bleue.
Le centre artisanal de la pierre bleue de Wallers en Fagne a pour vocation depuis 2002 de relancer le travail de ce matériau naturel avec des machines numériques et une démarche contemporaine : projets, prototypes et fabrication en petites séries. A côté d’une production de pierres de bâtiments, de mobilier urbain et familial, des produits innovants sont mis au point avec des designers ou des professionnels de l’éclairage.
Deux tailleurs de pierre sont actuellement présents dans ce bourg qui en a compté une dizaine autrefois : La pierre par A+B et l’EURL Leleux Johann.
D’autre part le circuit de la pierre bleue, long de 4 km est un parcours jalonné de bornes en pierre bleue valorisant le travail de la pierre, les outils et les techniques de taille.
Enfin la carrière du Comptoir des calcaires et matériaux (CCM), filiale du groupe Colas, exploite une veine de calcaire dur Givétien depuis 1973. Sur une centaine d’hectares, c’est l’un des dix plus grands gisements de France pour l’extraction de calcaire bleu massif sur une profondeur de plus de 100 mètres pour une production annuelle de 2 millions de tonnes de granulats. Ceux-ci servent pour 80 % à l’infrastructure des routes et pour 20 % au béton.

L’église de Glageon

A Glageon vers 1860 l’industrie principale était l’exploitation des mines de fer et des bois, celle des carrières de marbre, des pierres à bâtir et du bois scié. Ces pierres à bâtir en pierre bleue furent utlisées entr’autres pour l’église St Martin, la demeure occupée à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle par des maîtres de forges, le calvaire, les oratoires…
Sur le site de Glageon, la carrière exploite un calcaire dur givétien, la capacité annuelle de production est de 600 000 tonnes dont 100 000 tonnes susceptibles d’être expédiées par train. Matériaux commercialisés : sable, gravillons, graves pour bétons et chaussées, matériaux d’ornementation, gabions, enrochements sur commande…

L’église de Baives

A Baives y affleure l’ancien massif coralien (Les Monts de Baives). Ici aussi ce calcaire de couleur bleu-gris était très présent comme en témoigne la maçonnerie en moellons de pierre bleue de l’église St Martin.

L’axe Marbaix-Sars Poteries

59 - Carrières De La Thiérache, MARBAIX. Beau Plan, Rare CPA Ayant Circulé En 1913. BE. - Autres Communes
Carrière à Marbaix

Historiquement « le terme Pierre Bleue désignait le Petit Granit ». Ce calcaire constitué principalement d’une véritable « purée » d’articles d’encrines (calcaire crinoïdique), se prête pratiquement à toutes les tailles. D’un âge légèrement différent de celui de Soignies, le petit granit de l’Avesnois a été largement exploité sur Marbaix. On y a compté jusqu’à 18 carrières.

Explication de la carte géologique de la France par Dufrénoy & Elie de Beaumont

Les ingénieurs des mines Dufrénoy & Elie de Beaumont qui jouèrent un rôle majeur dans la géologie française indiquent qu’à Marbaix « on trouve des carrières considérables, ou plutôt une longue série de carrières ouvertes sur l’affleurement des couches du calcaire carbonifère, et qui sont célèbres depuis longtemps comme fournissant des pierres de taille qu’on transporte jusqu’à une grande distance… Le calcaire a généralement la teinte d’un noir bleuâtre qui le fait désigner sous le nom de calcaire bleu ». Ils y ajoutent que certains bancs contiennent des cherts et « d’autres sont remplis d’entroques, au point de prendre la structure connue sous la dénomination de petit granite, et de ressembler complètement au petit granite des Ecaussinnes et à celui de Ferrière-la-Petite.» (Explication de la Carte Géologique de la France… Dufrénoy & Elie de Beaumont 1841-1848).

Un exemple de pierre bleue : le porche d’entrée de l’église de Marbaix

Le bâti de ce village est une illustration de la place qu’occupa autrefois ce matériau dans les constructions de bâtiments. Aujurd’hui Leclercq Père et fils sont les deux seuls tailleurs de pierre à Marbaix.
Sur l’axe Marbaix Sars Poteries, se trouve Saint-Hilaire-sur-Helpe et Haut-Lieu où l’on continue de nos jours à extraire de la pierre bleue pour en faire des granulats (carrière Bocahut). Signalons qu’à proximité de Sars-Poteries et plus exactement à Felleries un atelier – Elégance Pierre bleue –permet de découvrir les nombreuses réalisations de Guy Harbonnier, « maître artisan », tailleur de pierre, sculpteur.

La ligne Bachant-Ferrière la Petite

A Bachant « les carrières de marbre sont au nombre de quatre. Les blocs y sont considérables et sont réduits, pour le transport et le sciage, en fragmens d’un mètre cube »(Annuaire statistique du département du Nord 1836 ).
Dufrenoy et Elie de Beaumont (1841) qui se réfèrent à Poirier de Saint-Brice signalent que « les carrières de Saint-Remi-mal-Bâti et Bachant fournissent un marbre d’un beau noir foncé, analogue à celui de Dinant ».
« Ce facies spécial est caractéristique de la bande viséenne de Ferrière-la-Petite. H. Derville (1952), a étudié ce calcaire du point de vue sédimentologique, notamment dans la carrière Adam (abandonnée et en voie de disparition), dans la carrière Lebrun sur la rive droite du ruisseau Glimour, dans la carrière Cuisset à Eclaibes et, derrière la gare de Ferrière-la-Petite, dans la carrière Mercier. Une étude semblable a été menée par B. Mamet (1964) qui nous livre quelques informations complémentaires : les carrières Adam et de Tripette (ou Lhoripette) n’offrent plus aucune coupe. La carrière Lebrun était exploitée par M. Lequeux jusqu’en 1962. Les carrières Cuisset et Mercier, étaient abandonnées mais offraient de bonnes coupes géologiques ». ( Les Marbres du Nord de la France et du Boulonnais Prof.Dr. Eric Groessens, Géologue européen ).
Hubert Reboul est tailleur de pierre à Ferrière la Petite, tansformant cette matière brute, naturellement grise aux reflets bleutés, en escaliers, éviers, parterres de douche, boîtes aux lettres…

A Limont-Fontaine, une carrière est exploitée par la Societé des Carrières du Bassin de la Sambre (C.B.S.). « Elle est ouverte dans un synclinal droit dessiné par les calcaires massifs de la Formation de Neffe, et ceux, finement lités, de la Formation de Lives. Toutes deux sont datées paléontologiquement (Foraminiferes, Ostracodes, Coraux) du Viseen moyen à supérieur (Mansy et al., 1989). L’intérêt de cette carriere est de montrer des structures d’instabilité synsédimentaire (slumps, failles obliques, breches). La difficulté majeure de cette carriere est de restituer Ia géometrie précise de ces structures, en prenant en compte Ia part de Ia déformation varisque ulterieure » ( Bulletin de la Société d’histoire naturelle des Ardennes 1989 ).De nos jours la carrière de Limont-fontaine exploite un gisement calcaire dont la transformation en granulats est destinée aux industries des travaux publics et du bâtiment.

Le secteur Etroeungt Avesnes

Cpa, Etroeungt (Nord), Ancienne Carrière Du Parc, Animée - France
Ancienne carrière du Parc à Etroeungt

Etrœungt possédait également au milieu du XIX e siècle des carrières importantes de pierres à bâtir qui occupaient un assez grand nombre d’ouvriers (Annuaire statistique du département du Nord – 1836).
En conclusion, même si la pierre bleue se manifeste encore aujourd’hui dans l’architecture, son extraction ne se fait plus sur le teritoire et son activité artisanale a bien disparu à l’exception de celle de quelques tailleurs de pierre qui font encore valoir leur savoir-faire.

LES MARBRES DE L’AVESNOIS

A l’instar de la pierre bleue, le marbre est également présent dans le riche sous sol de notre région et se présente sous diverses couleurs. Ainsi on le retrouve dans la région de Cousolre, d’Etroeungt, dans la vallée de l’Hogneau mais aussi à Dourlers ou bien encore à Trélon, Glageon et Liessies

Cousolre

A la fin du XVIIIème siècle, la région de Cousolre était un important centre marbrier. En 1787 le chapitre de Maubeuge y détenait deux carrières, l’une accordée en bail à Maximilien Lecat, pour 3 ans, et l’autre concédée aux sieurs A. Durieux et J. Boise «le long de la pied sente de Coulmie» (L’industrie du Marbre au XIX° siècle à Cousolre. Mém. Soc. Arch.Hist.Arrond. Avesnes, t XXVII, pp. 87- 111 Jean Heuclin 1980).
En 1798, le citoyen Friand, maître de carrière à Renlies, acheta un bâtiment à Cousolre et le transforma en scierie de marbre. Sur ce site on y extrayait le marbre Ste Anne de couleur gris brun tacheté de blanc, un marbre noir semblable à celui de Dinant, et un marbre rouge parsemé de polypiers.
A la fin de l’Empire, les mesures de protectionnisme avec l’élévation des droits de douane sur les marbres travaillés importés en France provoquèrent l’établissement de nombreux ateliers de marbriers belges à Cousolre. Avec les déchets du sciage et en important des marbres belges bruts, il confectionnèrent des cheminées simples, dites capucines pour le marché français.(Jean Heuclin)

Marbrerie Hénaut à Cousolre

En 1830, on comptait à Cousolre 3 grands ateliers, fondés par des Belges, et près d’une dizaine de petits.

Marbrerie Vienne à Cousolre

Durant la période 1840 -1850, l’activité marbrière connaît une véritable révolution : on recense à cette date 6 carrières et scieries, 20 ateliers de cheminées employant 600 ouvriers et 15 ateliers à pendule avec 350 salariés. Des cheminées de style Henri II, Louis XIII et Louis XV sortent des ateliers pour aller orner les grands hôtels parisiens ainsi que de nombreux modèles de pendule comme la « Chateaubriand ». L’industrie marbrière connait son apogée entre 1870 et 1914. Les artisans de la pendule et de la bimbeloterie expédiaient les 3/5ème de la production vers l’Angleterre et son Empire, 1/5 vers les Amériques et le reste sur Paris. En dépit des deux guerres mondiales et des crises économiques successives l’industrie du marbre survécut à Cousolre jusqu’à la fin du XXe siècle (Jean Heuclin).

Etroeungt

59 ETROEUNGT ANCIENNE CARRIERE RUE SOLFERINO ANIME - Autres Communes

A LA fin du XVIIIème siècle Etroeungt était un centre marbrier important (marbre verdâtre et cendré).
Cyprien Prosper Brard dans son « Traité des Pierres précieuses, des porphyres, granits, marbres et albâtres et autres roches propres à recevoir le poli et à orner les monuments Publics et les édifices particuliers (1808)» mentionne les marbres brèches d’Estroeng-la-Rouillie. On appelle brèches les marbres qui sont formés par une multitude de fragments anguleux de différens marbres réunis par un ciment d’une couleur quelconque. Le marbre brèche d’Etroeungt La-Rouillie est composé de morceaux de marbre verdâtres et cendrés.

La vallée de l’Hogneau

Cette vallée s’illustre par la pierre bleue mais également par le marbre. Dans cette vallée coule une rivière au bord de laquelle étaient installées la plupart des marbreries. A partir du XIX e siècle jusqu’aux années 1950 ces nombreuses usines ont ainsi rythmé la vie de ses villages .

Armure ou Chassis
Armure ou chassis qui sevait à débiter des blocs en tranches

« Progressivement de 1815 à 1848 l’industrie marbrière va s’implanter solidement dans la vallée de l’Hogneau. Ce sera d’abord de petites scieries à bras ou avec des chassis à 4 lames, elles s’installent souvent à l’emplacement des moulins et plus tard de forges abandonnées. La force motrice s’imposant, les armures comptent davantage de lames métalliques parallèles.(…) Une scierie s’installe en 1820 à Saint-Waast-la-Vallée ; une autre en 1822 à Gussignies et vers 1830 à Houdain . Bellignies va bénéficier du développement de l’industrie et dès 1835 les actes d’état-civil indiquent de plus en plus de professions se rattachant au travail du marbre : Scieur, marbrier, polisseur… Ils sont en général nés en Belgique. A cette époque où le machinisme en est à ses balbutiements, va se créer dans toute la vallée un artisanat familial à domicile qui se prolongera pendant plus de cinquante ans. Les hommes pratiquent le découpage à l’épaule, taillent et usent le marbre avec des moyens encore primitifs : burins, gravelots, percent les pièces à l’aide de l’archet. Ils fabriquent eux-mêmes les instruments nécessaires pour travailler et adoucir. Les femmes, les enfants polissent, à la main ce qui demande beaucoup de temps, de patience, d’esprit d’initiative et d’observation. Le polissage nécessite de nombreuses opérations : emploi de quatre sortes de pierres de plus en plus tendres, du bouchon de bois, d’acide oxalique, démeri à adoucir, de produits divers, dont chacun gardait un peu le secret, appliqués en frottant avec énergie pour faire disparaître la petite aspérité, venait enfin la cire d’abeille imbibée d’essence de térébenthine pour obtenir un brillant durable. Les marbres noirs extraits des carrières de Hon-Hergies sont particulièrement difficiles à polir et demandent une grande expérience »(Carriers, Marbriers, Chaufourniers de la Vallée de l’Hogneau. Avit Duronsoy. Catalogue de l’Exposition du Marbre de 1979, Com.du Tourisme de Bellignies, 20 pages.)

Le Saint Anne

A Bellignies le musée du marbre et de la pierre bleue retrace l’histoire de ce passé marbrier. Si la vingtaine de marbreries ont depuis longtemps disparues, le musée dispose cependant d’une jolie collection d’oeuvres qui se faisaient à la fin du XIX et au début du XX e siècle : bibelots, vases, et surtout horloges et pendules. L’activité de ces dernières était importante, la pendule était alors une mode.

On y travaillait des marbres venant du monde entier : les onyx, les marbres de Sienne, d’Irlande, de Tinos …. et le savoir-faire était d’une extrême qualité.

Hon Hergies Carrière Canton Bavay - Autres Communes
Carrière Dieudonné à Hon-Hergies
59 HON HERGIES Vue Des Magnifiques étangs Dieudonné Blondeau - France

A Hon Hergies il y avait des carrières de marbre noir (le « Noir français » de cette région) avec notamment la très vaste carrière Blondeau, ou Grande carrière d’Hergies, déjà exploitée bien avant la Révolution ( Atlas et Description Minéralogiques Guéttard et Monnet 1780). Elle s’étendait sur plus d’un kilomètre. La très bonne qualité de ce marbre servait à la confection de marches d’escaliers, de cheminées ou bien encore de bancs.

59 -Hon  Hergies -  Dieudonné Blondeau   - Catalogue  Cheminées En Marbres Noirs  Français (  Non  Carte ) - Autres Communes
HON-HERGIES PRES BAVAY DIEUDONNE BLONDEAU CHEMINEES EN MARBRES NOIRS FRANCAIS - Autres Communes

Il y avait aussi le marbre St Anne, ce joli marbre grisatre qui garnissait notamment les belles commodes Louis Philippe. Ce St Anne se distinguait donc de celui de Cousolre et de celui de Trélon. Il fut exploité jusqu’en 1955 (Le Marbre dans la Région du Nord. Paul Dumon Le Mausolée, N°273, mai 1959 pp.627- 637).

GUSSIGNIES établissement De La Société Marbrière D'Avesnes Animation  Top Carte - France
Société marbrière d’Avesnes à Gussignies

A Gussignies se trouvait également des bancs de marbre noir. A Saint-Waast-la -Vallée on trouvait dans la Carrière Lucq du Noir veiné, du Noir moucheté, du Noir uni, du Noir rubanné etc.
Dans toute cette vallée, comme dans la région de Cousolre, l’industrie marbrière connaîtra sa période faste sous la III ème république. Cependant la crise des années 30 stoppera subitement les exportations des marbres vers les Etats-Unis et l’Angleterre et les entreprises disparaitront progressivement.

Ferrière-la -Petite et Maubeuge

Le St Anne ( gris,noir et blanc) était présent dans ces deux communes. Près de Maubeuge, à Recquignies, le géologue belge Alphonse Beugnies signale en 1963 un récif de marbre rouge n’ayant que 6,5 m d’épaisseur.

59 JEUMONT  Carrières De Walissart , Forges Et Bureaux - Jeumont
Carrière de Watissart à Jeumont
JEUMONT CARRIÈRES DE WATISSART CHARGEMENT DES WAGONNETS - Jeumont
Carrière de Watissart (pierres quartzites)

A Jeumont une carrière était exploitée pour le compte du prince de Ligne en 1790 mais abandonnée en 1900 (Monographie de la Marbrerie dans l’Arrondissement d’Avesnes Alfred Jennepin 1901).

En 1930 il y avait aussi à Jeumont une marbrerie tenue par Edouard Rombaux-Roland spécialisée dans les labradors, Syénites et Porphyres verts, bleus, rouges noirs. Le devis dont l’entête figure ci-dessus est adressé à un marbrier de Besançon et concerne un monument en labrador vert nacré de Norvège. Quelques années auparavant, à savoir le 7 décembre 1922 cette société passa un marché de gré à gré avec la mairie de Preuilly-la-Ville pour la fourniture d’un monument au mort Granit Belge n° 1029 A RR. En voici une photo. Cette marbrerie importe donc ses marbres, confirmant ainsi la disparition totale de marbre à Jeumont.

Monument aux Morts de Preuilly-la-Ville

Dans les années 1950 Paul Dumon que nous avons cité plus haut, l’ingénieur géologue belge qui avait publié, en deux tomes de la revue Le Mausolée, La géologie des carrières dirigeait la société Les Marbres Français à Jeumont.

La brèche de Dourlers

Ce marbre est également cité par CP Brard en 1808. Il est formé par la réunion d’une multitude de fragments couleur cendrée, blancs et plus généralement rougeatres. Il était utlisé lors de la décoration du château de Versailles. Il ne subsiste de nos jours aucune trace de cette industrie marbrière. La carrière de Berlaimont disposait de couches similaires ( Société géologique de France,Session extraordinaire de 1853). Le Calcaire bréchiforme de Limont, présentait les mêmes caractéristiques ( Monographie de la Marbrerie dans l’Arrondissement d’Avesnes A Jennepin 1901)

Trélon

A Trélon courant XVIII siècle, de l’exploitation de ces calcaires givétiens on tirait des marbres appelés le Sainte Anne de Trélon (foncés veinés de calcite blanche) .
On exploitait également près du bourg de Trélon un marbre rouge et jaunâtre qui recevait un assez beau poli ( Cyprien Prosper Brard 1808).

Un autre marbre rouge a été exploité à Surmont, près de la gare de Trélon.

8 - Société Des Carrières Du SURMONT Et Du Chateau GAILLARD .  Binamé Et Cie à TRELON (Nord) - Autres Communes
Carrières du Surmont et du château Gaillard

Au milieu du XIX siècle l’industrie de Trélon était principalement axée sur l’exploitation des bois et des matières minérales. Il y existait des mines de fer, des carrières de marbre et de pierres calcaires, une verrerie et une très belle fabrique de cristaux. On y trouvait aussi une scierie de marbre.
Située en pleine forêt, cette carrière fut exploitée dans les années 1930 par la S.A.C.R.A. (Société Anonyme des Carrieres de la Région d’Avesnes) puis plus tard par la S.O.C.A.T.R.E (Société des Carrières de Trélon). L’exploitation cessera définitivement dans les années 70.

Glageon

Glageon (Les Carrières) - France
Glageon Les Carrières

A Glageon on a exploité durant tout le XIX siècle un marbre foncé veiné de calcite blanche appelé ici le Glageon fleuri.

B Sancholle en 1850 écrit que « le marbre de Glageon a une très grande analogie avec le Sainte-Anne français de la région de Bavay, mais il a le fond plus noir, et le mélange plus petit . Son prix à Paris est de 16 à 17 f le pied ou de 460 à 500 fr le mètre. Il ajoute « la consommation des marbres du département du Nord est assez forte à Paris, parce qu’elle est provoquée par la modicité de son prix ; mais son emploi ne repose que sur les objets les plus ordinaires. »

Quoiqu’il en soit ce calcaire gris-noir à larges efflorescences blanches orne le magnifique autel et retable visibles dans l’église de Glageon.

Dictionnaire du commerce et des marchandises. Marbres du Nord page 1445

Liessies

De Felice dans Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné – 1770/1780 liste en ce qui concerne notre région le marbre de Dourlers, de Trélon et un autre à Liessies. C.P. Brard en 1808 écrit qu’il y en qui se tire de Liessies et qui ressemble un peu au marbre de Rance. Il décrit ce dernier comme un marbre blanc, mélé de rouge-brun, avec des veines blanches, cendrées et bleues. Il se pourrait que ce gisement fut exploité par les moines bénédictins de Liessies qui s’en servirent pour leur abbaye.
En conclusion, nous pouvons dire que les gisements de marbres de la région avesnoise étaient relativement nombreux, de taille et d’importance plus ou moins grandes. Ces marbres étaient de teinte généralement foncée, noirs ou parfois rouges. Ils étaient exploités pour un usage local mais les plus beaux spécimens étaient destinés au marché parisien ou bien encore principalement exportés en Angleterre comme ceux de Cousolre.
De façon plus générale , à partir de la fin du XVIII siècle jusque dans les années 1950, ces carrières de pierre bleues et ces marbreries aux divers usages ont fait vivre de nombreux villages en plusieurs endroits de l’Avesnois. Elles prirent à partir de 1840 tant d’importance qu’elles rythmèrent bientôt le quotidien de ces ouvriers, hommes femmes et enfants, qui de génération en génération transmettront leur savoir-faire. De nos jours, l’activité marbrière a disparu de notre région, quant à celle de la pierre bleue elle ne se se traduit plus que par quelques carrières d’extraction de granulats et par quelques artisans qui taillent de la pierre bleue provenant de Belgique. Toutefois, une lueur d’espoir de revoir un jour une activité plus soutenue de la pierre bleue et du marbre passe par l’exploitation de deux foyers de gisements non encore épuisés et par l’utilisation de ces matériaux uniquement à usages patrimoniaux. Ainsi la présence d’un gisement relativement important de pierre bleue à Marbaix et la subsistance de petits gisements dans le Sud-Avesnois de marbre gris et rouges pourraient permettre la restauration des décorations des nombreux et remarquables édifices du XVIII et XIX siècle de notre région.

Une carrière de nos jours remplie d’eau

Liens externes :

FR 3 Pourquoi chercher plus loin La vallée du marbre et de la pierre bleue

Parc naturel régional de l’Avesnois

Centre artisanal de la pierre bleue

Bulletin de la Société d’histoire naturelle des Ardennes – 1894

Les Marbres du Nord de la France et du Boulonnais (Prof Dr Eric Groessens, Géologue européen)

L’industrie du marbre à Cousolre (Jean Heuclin)

Traité des pierres précieuses, des porphyres, granits, marbres, albatres et autres roches