Le Château de Berlaimont : de son origine à sa démolition

Son origine

Ce château situé sur la rive droite de la Sambre pourrait avoir été construit sur les ruines d’une forteresse d’origine romaine, détruite par les Barbares vers l’an 406. Cette hypothèse repose d’une part sur l’existence de souterrains et de fondations en maçonnerie cimentée supposée de construction romaine et d’autre part sur la découverte de tombes gallo-romaines.

En effet  dans son ouvrage intitulé « Promenades dans l’arrondissement d’Avesnes », publié en 1829, Mme Clément-Hémery écrit suite à l’existence de ces souterrains : « il paraitrait que les romains auraient levé un fort sur la rive droite de la Sambre, près du pont qui conduisait au bourg. Ce qui peut donner quelqu’authenticité à cette tradition, c’est que les souterrains que j’ai parcourus, et qui existent encore presqu’ensevelis sous l’herbe sont évidemment de construction romaine, quoique des murs élevés sur ces fondations, soient d’une époque moins reculée. Ce fort a dû être détruit à la même époque que Bavay, lors de l’irruption des Huns, que jusqu’à présent, on disait avoir eu lieu en 385 et que M. Lebeau fixe en 406. Voulant du positif, je consultai M. Mary, maire de Berlaimont, homme aimable et instruit qui partageait cette opinion et qui me dit que c’était sur les ruines de ce fort qu’avait été élevé le château dit de Berlaimont, ou résidaient les anciens seigneurs (quoique situé sur le territoire d’Aulnoye). »

On découvrit ensuite à proximité de cet emplacement des tombes gallo-romaines lors de la construction de la centrale électrique (Mémoires SAHAA Tome XX Article R.Terrisse). Sur le territoire de Berlaimont, on a découvert également les restes d’une villa gallo-romaine en forêt près du Coucou et d’innombrables pièces romaines à la Grande Carrière. La route de la Grande Carrière pourrait avoir été une voie pré-romaine traversant la forêt de Mormal en progression d’un mont où plus tard fut édifié le village  et s’arrêtant au niveau de la Sambre  à l’emplacement de ce fort.

Quoiqu’il en soit le château fut édifié ou réédifié au Xe ou au début du XI e siècle. La Sambre et un bras de dérivation entouraient cet ouvrage défensif. Il est décrit comme une forteresse quadrangulaire flanquée à chaque angle d’une grosse tour, que dominait le donjon. Une double enceinte en terre renforçait sa protection, et un petit fort détaché couvrait, par une batterie souterraine, une écluse permettant l’inondation de la vallée jusqu’à Landrecies. (Le Glay Pouillé du XIV e siècle Histoire de la contrée d’Avesnes 1859).

Son emplacement

Sa localisation nous est donnée par une carte du camp d’Aymeries commandée par M. le Prince de Soubise le 1er septembre 1753 et par les plans cadastraux d’Aulnoye-Aymeries répertoriés aux Archives Départementales du Nord.

Extrait de la carte du camp d’Aymeries commandée par M. le Prince de Soubise (1753)
Plan du cadastre du consulat 1806 Plan du cadastre napoléonien 1812
Localisation du château sur une vue aérienne actuelle
Emplacement de l’ancien château

Ce château se localiserait de nos jours entre l’actuelle centrale électrique et l’écluse. Sa localisation précise est difficile car l’environnement a bien changé. Il se situait le long de l’ancien lit de la Sambre et son fossé était le bras du déversoir actuel. Il était élevé sur une ile qui fut partagée lors des travaux de canalisation de la rivière. Cet ilot en amont de la forteresse servait alors de relais entre le barrage du moulin tourné vers la gauche et un barrage sur pivot tourné vers la droite.

Sa description

Les seules représentations connues du château sont celles figurant dans les albums de Croy qui se trouvent à la bibliothèque des Archives Départementales du Nord :

Tome XII – Planche n°34 : « Le village de Berlaimont. 1599 »

« …à l’extrême gauche, le fleuve baigne les bases d’un grand château ; c’était celui des seigneurs de Berlaimont, les héritiers de Gilles de Chin qui, au XIème siècle avait tué un dragon qui dévastait la région. Cette forteresse est maladroitement représentée ; en rapprochant cette image de celle figurant dans le même volume (voir pl. 6), il est cependant possible de se faire une idée de ses dispositions générales. Ce devait être une construction polygonale avec tours d’angle, deux d’entre elles défendant le châtelet d’entrée auquel on accédait par un pont levis. Sur la présente gouache, la courtine reliant la tour gauche de l’entrée à une tour beaucoup plus importante couronnée de mâchicoulis et coiffée d’une poivrière (c’est celle que l’on voit au premier plan) paraît courbe telle une tour; sans doute cette courtine percée de fenêtre dans sa partie supérieure pour éclairer le bâtiment qui lui était accolé, devait-elle être rectiligne ; vers le fond, c’est-à-dire vers le sud, on aperçoit la toiture d’un corps de logis adossé à la courtine. Ce château déjà en mauvais état en 1599 fut détruit en 1643 par Condé. C’était probablement une œuvre du XIVème siècle. »

Tome XII – Planche n°6 : « Chambellain par Berlaimont. 1599 »

« …cette vue est fort proche de celle qui figure à la planche 34 …le château laisse aussi mieux deviner son plan, mais la tour coiffée d’une poivrière y est beaucoup moins importante et la partie de la courtine qui lui est adjacente vers l’ouest parait avoir été restaurée grossièrement ; enfin, le corps de logis adossé à la courtine méridionale, ne tend pas ici à se confondre avec le châtelet d’entrée comme sur l’autre vue… »

Tome IX – : « Berlemont. 1621 »

« … à gauche de l’image, on retrouve le château réalisé probablement au XIVème siècle mais détruit par Condé en 1643. La gouache est trop confuse pour que l’on puisse se représenter les masses de cette œuvre qui était polygonale et dont les angles étaient marqués par des tours. Ce château était celui des héritiers de Gilles de Chin qui, au XIème, siècle avait tué le dragon qui dévastait la région… »

Tome XXIV planche 5 : «.. 4- Berlaimont..»

L’entrée du château faisait face au couchant et le pont-levis venait s’abaisser au lieu dit le plateau, au bas d’une ruelle qui était la véritable rue du château et qui s’ouvrait sur la grand’place sur laquelle se trouvait la chapelle castrale, laquelle devint l’église paroissiale avant la construction de l’hôtel de ville actuel.

« À la fin des années 1990, lors de travaux effectués dans le cadre de la réalisation d’un sentier piétonnier le long de la Sambre qui relie l’arrière de la mairie au pont de la centrale, des vestiges de murailles, de même composition que ceux apparents dans le talus du chemin de halage, sont mis à jour. Il est probable qu’ils appartiennent à l’ancien du château fort, l’endroit où ont été découvert ces vestiges étant autrefois occupé par le pont-levis permettant la liaison entre le village et le château. » (J L Pigot bulletin n°28 du CHGB)

Sa chronologie

1078. Il est fait mention du château à la suite de l’assassinat en 1078, de Thierry d’Avesnes, seigneur du Brabant, par Isaac de Berlaymont, un des premiers seigneurs du lieu. « Ayant été invité à accompagner à la chasse, dans la forêt de Mormal, le comte Baudouin III, il (Thierry d’Avesnes) y vint sans précaution,(…) ,Isaac de Berlaimont, (…), le terrassa et lui ôta la vie. Le comte fut accusé d’avoir, (…), trempé dans ce lâche guet-apens. Pour se disculper, Baudouin fit mine d’attaquer le castel de Berlaimont » (Histoire de la ville d’Ath d’Édouard Waltre). En effet après quelques pourparlers le siège fut levé et le comte Bauduin s’en retourna à Mons (Jacques de Guyse histoire du Hainaut Paris Bruxelles 1831 tome XI).

1254. Le château fut cette fois assiégé et occupé. Gilles de Berlaymont en avait fait sa résidence seigneuriale. Il était le fils de Gilles et d’Heldwige de Hainaut et était marié depuis 1240 avec Joye d’Avesnes, laquelle lui avait apporté lors de son mariage les terres de Floyon et de Chevireuil. Il était l’ami et compagnon fidèle de Jean d’Avesnes. Ce dernier, fils de Bouchard d’Avesnes et de Marguerite de Flandre, s’estimant lésé dans le partage que sa mère avait fait de ses biens à la suite de son remariage avec Guillaume de Dampierre, déclencha alors les hostilités avec l’appui de Guillaume de Hollande. En conséquence, la comtesse Marguerite avec l’aide du Comte d’Anjou, frère du roi de France, fit alors envahir le Hainaut. En avril 1254, les troupes du Comte d’Anjou prirent et occupèrent le château de Berlaimont. Une trêve intervint entre les belligérants le 26 juillet et l’accord de Péronne prononcé le 24 septembre 1256 par Saint Louis permit la libération du Comté du Hainaut.

1295. Gilles, sire de Berlaimont, ayant eu des difficultés avec Jean II d’Avesnes, vit celui-ci s’emparer de son château, le livrer aux flammes et le fit exiler (Kervyn de Lettenhove. Œuvres de Froissart Tome XX Bruxelles 1875).

1305. Après la mort de Jean II d’Avesnes, Gilles passa un accord avec sa veuve Philippa de Luxembourg et son fils Guillaume Ier, qui consentirent par lettres de février 1308 à lui verser pour la réparation des dommages causés à son château, 1 500 livres de petits noirs tournois à prendre sur les revenus de la ville et châtellenie de Bouchain. Cette somme devait être payée dans un délai de cinq ans (Kervyn de Lettenhove ..) .

1477.La tentative de Louis XI de s’emparer du Hainaut fut particulièrement désastreuse pour les environs de la forêt de Mormal (De Saint Génois Monuments anciens …Tome II) Début 1478, Gilles de Berlaymont, fils de Gilles et de Marie de Ligne, dernier Seigneur de Berlaimont appartenant à la branche des Berlaymont, mourut en défendant son château.

1481. Devant la nouvelle menace d’invasion Française, Gilles de Bousenton, prévôt de Maubeuge, expédia à la fin de cette année une lettre aux villages de la marche de Berlaimont et d’Aymeries pour inviter les mayeurs à réunir les hommes « raddés » (alertes) et les jeunes gens et à choisir les plus aptes à la guerre. (Jennepin Histoire de Maubeuge 1889 Tome I) Les états de Hainaut dépêchèrent des commissaires pour inspecter les garnisons frontières. Jacques de Montigny constata le 7 septembre 1482 la présence au château de Berlaimont de « tous bien montés et armés ». Le château était alors gardé par 8 archers à cheval que commandait le capitaine Jean De Le Warde.

1483. Lancelot de Berlaymont, frère de Gilles mort en 1478, captura et emprisonna au château de Berlaimont, quatre députés Gantois qui traversainet le Hainaut en vue de venir féliciter Charles VIII de sa succession à la couronne de France. Les Flamands sommèrent le grand bailli du Hainaut de les libérer menaçant de représailles le pays et les habitants. Ils ne le firent toutefois que début 1484 par « le bâtard de Berlaymont » qui assurait la garde du château et qui en apprenant l’assassinat de son frère Lancelot craignit alors aussi pour sa vie.

1490. A la fin du XV e siècle des exactions furent commises par des bandes de brigands dont le « le bâtard de Berlaymont » était à la tête de l’une d’elles.  La rumeur publique accusa le grand bailli de Hainaut, Louis de Rollin, Seigneur d’Aymeries de tolérer ces brigandages.

Voulant se disculper, disent les chroniqueurs, celui-ci avec Jean Sire de Ligne, partit de Mons le 17 mai 1490 pour aller faire le siège du château de Berlaimont. Une autre raison a probablement motivé l’expédition : en cette année 1490, Louis de Rollin, fils du grand bailli de Hainaut épousa Dame Gilles de Berlaimont, et c’est pour rendre à cette dernière son château, qu’Antoine de Rollin le beau-père et Jean de Ligne le cousin montèrent cette expédition. Le château fut entièrement cerné. « Faisant tous devoirs à force de artillerie et autrement de le pouvoir prendre et pour avoir ceulx de dedans pour en faire ce que a bonne justice apartiendra comme infracteur de paix »

Le siège dura plusieurs jours avant que les assiégés se rendirent et fussent enfermés au château d’Aymeries pendant deux jours et deux nuits puis transférés à Mons. Ils furent jugés et condamnés à mort le 23 mai. A cause de sa noblesse le bâtard eut la tête tranchée de nuit alors que ses trois compagnons Rasset, Lepage et Belsacq furent décapités à la hache le 25 mai et leurs corps, exposés pendant quinze jours sur une roue au bord du chemin au lieu-dit le Héribus.

1543. En juin François Ier, après avoir pris Landrecies installa son camp à l’abbaye de Maroilles tandis que son fils, le futur Henri II soumit les châteaux de Sassogne, Aymeries et Berlaimont. Ce dernier appartenait à Charles de Berlaymont époux d’Adrienne de Ligne- Barbençon, fils de Michel de Berlaymont, seigneur de Floyon, et de Marie de Barault. Charles était l’un des généraux de Charles-Quint. Les Français ne se retirèrent que 6 mois après, laissant le pays en ruine.

1578. Des troupes françaises à la solde du Prince d’Orange pénétrèrent entre Sambre et Meuse en mai. Don Juan d’Autriche qui se trouvait dans les Pays Bas, envoya sur les lieux les troupes d’Octavio de Gonzague. Un engagement eut lieu à Berlaimont et le village fut entièrement incendié. (Van der Essen. c, Alexandre Famèse. Prince de Parme. Gouverneur Général des Pays Bas (1545-1592) .). Tome I Bruxelles 1933. Lettre de Famèse à sa mère du 23/5/78.) 

Un manuscrit de la bibliothèque de Cambrai (Manuscrit 1251), dit qu’après avoir été contraints de lever le siège du château, trois compagnies françaises se retranchèrent dans le cimetière, où elles opposèrent une vive résistance, avant d’être passées au fil de l’épée, tandis que le reste des français cherchait à s’enfuir en traversant la Sambre à la nage. Beaucoup périrent noyés.

1637. L’armée française commandée par le Cardinal de la Valette, pénétra en Hainaut et s’empara de Landrecies après quinze jours de siège. Les châteaux de la Lobiette, Glajeon, Trélon et Berlaimont(ADN Série B 9690) n’opposèrent qu’une faible défense au Vicomte de Turenne, qui fut nommé Gouverneur de Maubeuge.

1643. Berlaimont fut à nouveau aux Espagnols et en février la compagnie du capitaine Savary tenait garnison au château (Archives de Berlaimont; devoirs de fiefs 1642-1654). En juin de cette année, Condé poursuivant les armées de Don Francisco Melo qu’il venait de battre à Rocroy, s’empara du château et le livra aux flammes. L’église et une grande partie des habitations subirent le même sort.

Cette épreuve fut fatale à l’existence du château. Ses murs, restés debout, furent encore alternativement occupés par les belligérants au cours de cette guerre et de la suivante. Lorsque les soldats s’en éloignaient momentanément, des particuliers venaient occasionnellement monter la garde sur la tour (Archives de Berlaimont; feuille isolée d’un comte de 1648 : « A Michel Desablens, pour avoir été faire la garde sur la thoure le 25 septembre : XX sols »).

1659. Au Traité des Pyrénées, la France et l’Espagne s’en disputèrent la possession et Mazarin le revendiquera en vain.

1661. Le château fut définitivement occupé par les Français en 1661 (Traité de Vincennes), comme dépendance du Quesnoy (Nelly Girard d’Albissin. Genèse de la frontière franco-belge. Paris 1970 p40n).

1678. Le Traité de Nimègue, éloignant définitivement la frontière du Nord rendit inutile la restauration de ce château. Il fut abandonné et ses pierres, peu a peu dispersées servirent en partie à l’édification de l’église actuelle.

Comme nous pouvons le constater, la présence du château qui fut d’avantage une forteresse qu’une résidence seigneuriale attira de nombreux fléaux dans le village compte tenu de leurs proximités et les annales du château sont intimement liées à celles de la commune.

Sa démolition

Nous l’avons vu : la destruction du château eut lieu en 1643, l’évènement étant  à replacer dans le contexte de la Guerre de Trente Ans (1618 à 1648) marquée sur le plan religieux par l’affrontement entre protestantisme et catholicisme et sur le plan politique par l’affrontement entre la couronne d’Espagne et la France.

Sa démolition nous est connue grâce à un extrait du journal « L’Observateur » du 14 juillet 1842 (Journal de la collection personnelle de M. Jean Claude Descamps, de l’ Association « Renaissance Vauban Maubeuge ») :

«…On démolit actuellement les restes de l’ancien château de Berlaimont qui fut détruit en 1643 par le Duc d’ Enghien, commandant l’armée française contre les espagnols ; ce général s’empara de la forteresse de Berlaimont après avoir gagné la bataille de Rocroi sur les troupes de Charles II d’ Espagne. La plus grande partie des maisons de ce bourg et l’église même furent incendiées. On a trouvé dans les ruines de grosses chaînes qui servaient probablement à attacher les prisonniers, et plusieurs clefs de forte dimension ayant servi pour serrures de sûreté. Deux pièces de monnaie, frappées au coin des princes de Croÿ, ont aussi été relevées dans les décombres, ainsi qu’une grande quantité de blé brûlé en partie lors de l’incendie du château…» (bulletin n°17 du CHGB)

FIN