Un gisement unique dans le sous-sol de l’Avesnois

Vers l’an 1770 des cendres fossiles dites cendres noires de Picardie furent extraites dans l’Aisne aux environs de La Fère (entre Suzy et Cessières) dans le but d’être utilisées comme stimulant agricole. En effet ces terres sulfureuses exposées pendant une quinzaine de jours à l’air libre s’échauffaient puis s’enflammaient et se convertissaient en une cendre rouge qui était reconnue comme une très bonne fumure pour les prairies. Elles trouvèrent très vite des acheteurs car elles coûtaient moins cher que la chaux.

De plus ces cendres étaient vendues à un prix d’1/6 par rapport à celles des cendres blanches de Hollande dites «cendres de mer». Cette modicité du prix entraîna très vite une généralisation de leur usage. Le succès fut si grand que l’on multiplia les recherches de cendres fossiles dans l’Aisne mais aussi en Picardie, en Cambrésis et en Hainaut. Pourtant un seul village posséda des terrains présentant une certaine analogie avec ceux des environs de La Fère: Sars-Poteries.

On découvrit en effet en 1777 dans ce petit village situé à 5 km à l’Ouest de Solre-le-Château son chef-lieu de canton et à 9 km au Nord Est d’Avesnes-sur-Helpe son chef-lieu d’arrondissement une couche de cendres végétatives à peu près semblable à celle des cendres de La Fère. Elle était située à la «Fache» dans le bois de la «Queue de Sars», et était orientée Nord-Est Sud-Ouest. Elle mesurait environ 1 km de long sur 200 m de large et était interrompue de-ci de-là par des bancs d’argile, de sable et de terre de potasse, cette dernière étant utilisée par les potiers. Elle se divisait en plusieurs filons d’une épaisseur variant de 4 à 10 m environ.

La difficulté de son extraction résida dans le fait que les eaux au dessous de la couche s’introduisaient instantanément dans la fosse que l’on creusait. Pourtant son exploitation commença en 1777, année de leur découverte et ne fut interrompue que pendant 2 ans durant l’invasion des troupes ennemies.

Ce gisement d’environ 2 hectares fut partagé entre Nicolas LENOIR de Felleries et Louis PICAVET de Sars-Poteries. Il donna lieu à un procès entre Monsieur RINCHEVAL propriétaire à Sars et le Seigneur de Sars. Celui-ci en 1777 concéda le monopole de l’extraction des cendres à une compagnie et quelque temps après le Duc d’Orléans fit de même. Le roi lui même s’attribua le droit d’autoriser l’extraction ne laissant au seigneur que le droit utile. M RINCHEVAL, professeur distingué d’une chaire d’éloquence à Douai contesta ce monopole et le Conseil du Roi lui accorda en 1781 la permission d’extraire les cendres sur sa propre terre.

La couche exploitée par Nicolas LENOIR qui pénétrait jusqu’au milieu des bois de Sars au lieu-dit «La Chevauchoire» était très abondante contrairement à celle de Louis PICAVET qui fut épuisée en peu de temps. Ces exploitants extrayaient annuellement 400 voitures de cendres, chaque voiture à 4 chevaux contenait 70 cuvelles remplies d’un pied-cube de cendres (environ 28 litres) au poids de 50 livres l’une (environ 22 kg). En 1777 la cuvelle se vendait 12 centimes et demi sur place et 25 centimes en 1789. Ainsi à cette date l’exploitation annuelle de cendres fossiles à Sars-Poteries portait sur 784 mètres cubes, pesant 62O tonnes et donnait un revenu de 7000 francs.

L’exploitation devint considérable puisqu’en 1791 un citoyen de Solre-Libre demandait à l’administration supérieure l’autorisation de continuer exclusivement l’exploitation pendant 5 ans dans la forêt du Duc d’Orléans où la veine se prolongeait. Il apportait un cautionnement de 50 000 francs et s’engageait à fournir des cendres noires au prix de 3 sols (15 centimes) la cuvelle alors que les cendres de mer se vendaient alors 1 franc à Saint-Amand, Douai et Cambrai.

Cependant les états du Cambrésis ordonnèrent, probablement à la demande des marchands de cendres de mer, l’analyse des deux types de cendres. Le résultat fut à l’avantage de ces dernières même si les cendres noires qui contenaient une partie considérable de vitriol et une autre partie de houille étaient plus fertilisantes. On inféra en effet que les cendres noires à force de les utiliser devraient altérer les principes productifs de la terre au point que les animaux et notamment les chevaux nourris sur les prairies amendées avec ces cendres pourraient en perdre la vue. Les cendres de mer au contraire furent reconnues contenir un sel bienfaisant.

Ce résultat dut frapper de défaveur les cendres avesnoises mais la différence énorme de prix d’achat a soutenu leur réputation et maintenu leur exploitation longtemps encore car en 1804 leur extraction se poursuivait sans interruption et leur emploi était exclusif sur les prairies artificielles des communes qui formaient auparavant les cantons de Maubeuge, Prisches et Avesnes.

Sources:

Les paysans du Nord pendant la Révolution G Lefèvre

Annuaire Statistique du Département du Nord Tome 1 p 179 p 409 Dieudonné

Voir l’étude sur les « Cendrières et usines vitrioliques dans le département de l’Aisne 1753-1914 »