Lors du décret de déclassement de la place de Landrecies, l’opinion générale était que les fortifications en grande partie du Chevalier de Ville et du Marechal de Vauban, disparaissant ainsi que « La Porte de France » si originale, il ne resterait malheureusement dans cette vieille cité tant de fois assiégée, incendiée et détruite, aucune trace, aucun monument qui rappelât son origine ou des phases de son histoire.
C’était là une grande erreur.
Au cours du démantèlement de l’un des bastions, on vient en effet de découvrir les restes imposants d’un donjon construit au XIIe siècle par Nicolas dit le Beau, seigneur d’Avesnes à la lisière de la forêt de Mormal, sup les bords de la Sambre.
C’est à la construction de ce château-fort que Landrecies doit principalement son origine.
Si en effet Landrecies est mentionné bien antérieurement, ce n’est qu’à la construction de ce château que les habitants de « terre de Landrecies » vinrent se grouper autour de lui, fondant ainsi la ville de Landrecies.
Ces châteaux-forts, nombreux sous la féodalité lors des luttes incessantes des Seigneurs voisins entre eux sont très rares maintenant ; celui qui nous occupe est peut être le seul subsistant dans cet état.


Ce château servait de résidence aux Seigneurs et Gouverneurs de l’endroit ; les écrits de l’époque le mentionnent souvent :
Jean Froissard nous dit clans ses Chroniques (1340) qu’après la mort tragique du sire de Potelle, gouverneur de la ville, le sire de Floyon « fut un grand temps gardien de la ville et du chastel de Landrecies. »
Plusieurs lettres le mentionnent aussi, citons celles par lesquelles Jean de Blois donnait certains pouvoirs à Allard de Barbançon en commençant ainsi.: « Données au chastel de Landrechies le vint et quatriesme jour, mois de septembre, l’an de grasce mil trois cent soixante et onze.
Et celles contenant rapport par Jean de Bretagne comte de Penthièvre, terminées par : « Données en nostre chastiel de Landrechies le noefvisme jour dou mois d’avril, l’an de grasce mil trois cent quatre vins et dyx wit. »

Ce donjon (n° 1) entièrement en grès de dix-neuf mètres de longueur sur quatorze et demi de largeur, et des murs dépassant en certaines parties, trois mètres d’épaisseur ; il forme une vaste salle rectangulaire de cent vingt mètres carré de superficie à laquelle on a accès par une seule poterne percée à l’angle de la salle ; cette poterne est cachée et protégée par deux forts pilastres ; elle a un mètre soixante-dix centimètres de hauteur sur un mètre dix centimètres de largeur ; elle est parfaitement conservée avec ses entailles et rainures pour la herse, le pont Levis et autres moyens alors usités pour se barricader lors des attaques.

La voûte de ce donjon dont une partie subsiste est aussi en grès, n’a point d’attaches dans les murs et est d’un seul cintre ayant quatre vingts centimètres d’épaisseur à sa clef. Le dessus de cette voûte forme une plate-forme qui devait être le sol d’une salle haute, car ce donjon, réduit aujourd’hui à cinq mètres environ de hauteur au -dessus du nouveau plan de nivellement, était certainement beaucoup plus élevé, d’apres l’épaisseur des murs et le contre-fort qui existe sut tout son pourtour.
De plus, un peu au-dessus de la voûte, il parait avoir existé dans l’épaisseur du mur un corridor contournant l’un des angles de la construction et qui aurait établi la communication entre la salle haute et un escalier extérieur actuellement détruit.
En 1543, François Ier, lorsqu’il fit fortifier Landrecies, utilisa cette solide forteresse pour asseoir l’un de ses bastions qui prit le nom de « Bastion du Château ».
C’est alors sans doute que le donjon fut mutilé et mis en l’état dans lequel il vient d’être découvert.
En effet, Messire Martin du Bellay, seigneur de Langey, le lieutenant du roi, nous dit dans ses Mémoires (année 1543), après avoir parlé de la construction à Landrecies de « trois gros coulleverts » : « Et pour servir de quatrième coullevert, il y avait un vieil chasteau en forme de raquette qu’il fait remplir de terre pour en faire une plate-forme servant de flanc ausdits coulleverts ».
En partie adossée à ce donjon, se trouve une autre construction (n°2) aussi en grès parfaitement conservée, mais moins robuste et peut-être un peu postérieure (on voit dessous au niveau du sol des fondations d’autres constructions) ; elle a neuf mètres de longueur sur sept de largeur et forme une salle voûtée rectangulaire avec portes en ogive aigüe à ses extrémités.
En détruisant le bastion qui recouvrait ces constructions, on a fait disparaitre, ne sachant de quoi il s’agissait, des parties qu’il eût été bien intéressant de conserver : murailles en grès, couloirs, escaliers, pavé de cour en petits grés sous lequel on a trouvé des boulets de pierre de différentes grosseurs et de petits carreaux du douzième siècle, très bien conservés, vernis en céramique de couleurs diverses.

Tout cela fait présumer que les fouilles à faire autour de ce donjon donneront des découvertes très intéressantes. A quelque distance de ce donjon, se trouve une tour en grès très ancienne percée de meurtrières étroites et longues pour tirer de l’arc. Les parties de cette tour qui émergeaient du rempart ont été anciennement détruites lors d’un siège et refaites en briques.
Les fondations de plusieurs tours semblables viennent aussi d’être découvertes dans le même endroit ; il fallait du reste le prévoir d’après les plans anciens de la ville. La présence de ce château-fort montre l’importance que devait avoir pour le pays l’ancien chemin qui passe à proximité et qu’on désigne sous le nom de « Chemin de Dame Marguerite.»
Dans le même bastion, on a trouvé un canon du quatorzième siècle qui est un spécimen très rare.
Il se compose d’un tube de fer de 2m20 de longueur, renforcé de nombreux annelets sur la surface ; on le chargeait par une culasse mobile qu’on a aussi trouvée. Il ne reste de son affût que les pièces métalliques.
Nous pouvons espérer du patriotisme éclairé des habitants de Landrecies qu’ils aimeront à conserver ce vieux monument d’architecture militaire, qui, malgré son état de ruine, est au moins aussi intéressante pour la région, que les ruines du Palais Julien dont les Parisiens sont si fiers.
Source :
« Une découverte archéologique à Landrecies », Le Monde illustré, no 44e année n°2089, 10 avril 1897, p. 232
Notes ultérieures :
L’enceinte castrale décrit un carré de 80 à 90 mètres de côtés flanqué à chaque saillant d’une tour cylindrique « en forte saillie, à parois fortement talutées, percées de longues et fines archères. » (Jean Louis Boucly, Évolution des fortifications de Landrecies)
Une troisième tour cylindrique est attestée au centre de la courtine est, une tour rectangulaire est attestée sur la courtine nord à proximité de la tour au saillant nord-est sur l’une des sources et au centre de la courtine sur une autre. Deux sources :
1 Plan de Landrecies dans l’Atlas des villes des Pays-Bas : 73 places levées entre 1550 et 1565 sur les ordres de Charles Quint et de Philippe II conservé par la Koninklijke Bibliotheek/bibliothèque royale

2 LANDVRSHE [Landrecies], dessin représentant l’enceinte et le château de Landrecies assiégés à une date inconnue, publiée dans l’ouvrage de Jean Louis Boucly Évolution des fortifications de Landrecies.

La tour ronde en briques en se retrouvant à l’arrière de la courtine la tour perd son utilité et est par la suite transformée en poudrière. Deux sources :
1 Plan de Landrecies dans l’Atlas des villes des Pays-Bas : 73 places levées entre 1550 et 1565 sur les ordres de Charles Quint et de Philippe II conservé par la Koninklijke Bibliotheek/bibliothèque royale
2 Chapitre VII : État de la ville de Landrecies au milieu et à la fin du XVIIIe siècle » dans Philippe Fournez, Histoire d’une forteresse : Landrecies, Paris, Perrin et Compagnie 1911)
