Les renseignements que nous livrent les premières biographies des saints des quatre abbayes de notre région sont très précieux pour retracer l’histoire de ces monastères d’autant qu’il n’existe au VII e siècle que ces seules sources hagiographiques. Dater leur rédaction est primordial pour pouvoir ensuite les interpréter. C’est ce travail remarquable à travers une étude magistrale qu’a réalisé au début des années 1990 Anne-Marie Helvétius en réexaminant ces vitœ (1). L’histoire de nos abbayes est alors affinée, mais aussi parfois quelque peu modifiée. Il m’ a semblé judicieux sur ce site dédié à l’Avesnois de consacrer une page aux origines de ces établissements religieux qui ont ensuite marqué l’histoire de notre région. Pour revisiter les origines de ces abbayes je m’appuierai donc en partie sur les excellentes analyses de cette historienne chevronnée mais je ne la suivrai pas toujours sur certains points. Puisse donc cet article apporter une reconstitution la plus tangible possible de ces communautés religieuses de notre territoire qui s’inscrivait au VII e siècle dans un domaine plus vaste qui portait alors le nom de Famars, territoire qui était au sein de la Neustrie et qui porta dès le siècle suivant le nom de Hainaut (2).
(1) : Anne-Marie Helvétius, Abbayes,évêques et laïques, une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Age (VII-XI siècle), Bruxelles, Crédit Communal, 1994, 367 p.
(2) : Ulrich Nonn ,Pagus und Comitatus in Niederlothringen (Pagus et Comitatus en Basse-Lorraine) 1983.
I L’Abbaye d’Hautmont
La Vita Vincentii prima rédigée à Soignies au début du XI è siècle nous apprend que Madelgaire, l’époux de Waudru, fut le fondateur au VII e siècle de l’abbaye d’Hautmont. Appelé également Vincent, il quitta ensuite Hautmont pour fonder une abbaye à Soignies. Cette vita rédigée peu avant 1024 -1025 (1) par le chanoine du chapitre épiscopal de Cambrai, Foulques, fut destinée à promouvoir le culte de Vincent. Tous les historiens ont repris la version de cette vita (2). Cependant les sources antérieures au XI e siècle ne présentent jamais Madelgaire comme le fondateur d’Hautmont mais comme un laïque qui prit l’habit monastique et se retira alors à Haumont. Ainsi, la Vita Aldegundis prima écrite vers 710-720 nous révèle que Madelgaire était le mari de Waudru et donc le beau-frère d’Aldegonde et qu’il quitta son épouse car celle-ci voulait se consacrer à Dieu dans le monastère de Mons qu’elle venait de commencer à faire construire.Il se retira alors au monastère d’Hautmont (3). Autant il est précisé que Waudru se retira à Mons après avoir fondé son monastère, autant il n’est mentionné de fondation du monastère d’Haumont par son mari. Une seconde Vita Aldegundis écrite dans la seconde moitié du IX e siècle relate les mêmes faits en y ajoutant que Madelgaire prit le nom de Vincent en entrant en religion. A.M Helvétius démontre avec succès que la décision prise par Waudru et Madelgaire d’entrer en religion serait lié à l’échec du coup d’état de 656 perpétré en Austrasie par Grimoald, fils de Pépin Ier . La famille de Waudru appartenant à l’aristocratie neustrienne au début du VII e siècle s’allia à celle des Pippinides dès le milieu de ce siècle. Le coup d’état manqué occasionna la fureur des neustriens et on a peu de peine à imaginer alors la délicate posture du couple , d’où leur retrait de la vie civile (4).
Donc si l’on s’en tient à ce qu’il vient d’être dit, l’abbaye d’Hautmont fut manifestement érigée avant 656. Selon les auteurs les dates proposées sont ca 643 pour J Prévot (Le Grand Hautmont), 646 pour Z Piérart (Excursions archéologiques et historiques sur le chemin de fer de Saint-Quentin à Maubeuge) et ca 653 pour U Berlière (Monastère de Soignies). Notoirement aucune de ces dates valide la fondation du monastère par Madelgaire qui, rappelons le, s’est retiré à Hautmont en 656. La Vita Vincentii prima n’est donc pas digne de foi concernant la fondation d’Hautmont par Madelgaire, l’auteur de la Vita en attribuant au saint cette fondation voulait sans conteste susciter l’importance de ce personnage et donc le culte à lui vouer. Ainsi donc l’élévation du monastère d’Hautmont ne relève pas de Madelgaire et sa date d’érection se situe aux environs de 640- 650, ce qui en fait la plus ancienne des abbayes de notre région. Dagobert I er venait de décéder et lui succéda en Neustrie son fils cadet Clovis II dont le règne de 640 à 657 fut marqué par l’essor du mouvement monastique. La Neustrie fut gouvernée à partir de 641 par son maire de palais Erchinoald et ce jusqu’en 658.Ce fut également durant cet intervalle de temps et plus précisément entre 633 et 670 que Saint Aubert occupa le siège épiscopal de Cambrai. Signalons ici que Waudru reçut le voile consacré des mains de Saint Aubert vers 656. Cet évêque donna également son accord pour que Landelin alla fonder vers 670 l’abbaye bénédictine de Lobbes à laquelle furent adjointes les dépendances d’Aulne et de Wallers. Landelin était un noble originaire du pagus de Cambrai à qui Saint Aubert lui avait enseigné les Écritures. Landelin se livra néanmoins ultérieurement à une série de brigandages avant d’implorer le pardon de l’évêque suite à une vision séraphique. Comme nous le constatons,Saint Aubert,évêque de formation monastique, contribua donc activement au mouvement monastique hainuyer de cette époque. Mais alors , ne pourrait on pas, supposer qu’il nomma un disciple, comme il le fera plus tard avec Landelin, pour fonder l’abbaye d’Hautmont ? Certes cette suggestion ne nous fournira pas le nom du fondateur faute de sources mais il paraît très probable que l’évêque Aubert intervint directement à la fondation de l’abbaye d’Hautmont et qu’il y plaça un pro-neustrien. C’est d’ailleurs peut-être pour des raisons politiques que ce fondateur ne fut jamais cité, au contraire du pro-pippinide Madelgaire. Quoiqu’il en soit Aubert fut très certainement le maître d’œuvre de ce monastère ce qui expliquerait ainsi son rôle joué dans la conversion de Madelgaire (5). Cela justifierait aussi la raison pour laquelle l’église paroissiale d’Hautmont porte le même titre que celui du diocèse de Cambrai, à savoir Notre Dame de l’Assomption. Et puis plus encore la présence en ces temps à Hautmont d’un oratoire dédié à Saint Vaast, celui-là même dont l’élévation des reliques dans le diocèse fut l’acte de Saint Aubert, renforcerait cette hypothèse de soutien de l’évêque aux fondements de cette communauté religieuse hautmontoise.
(1) : Les Gesta episcoporum Cameracensium rédigés vers 1024-1025 contiennent une notice consacrée à l’abbaye d’Hautmont s’inspirant de la Vita Aubertii selon l’éditeur Ludwig Bethmann en 1846 et de la Vita Vincentii selon Anne-Marie Helvétius dans son livre Abbayes, évêques et laïques, une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Âge (VIIe-XIe siècle) en 1994.
(2) : Jacques Prévot : Le Grand Hautmont (1974)- Jean Heuclin : Aux Origines monastiques de la Gaule du Nord. Ermites et reclus du VIe au XIe siècles (1988)-: Minon Frères : Hautmont et son abbaye (2004).
(3) : Les historiens situent cette séparation vers 655.
(4) : Abbayes, évêques et laïques, une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Âge (VIIe-XIe siècle)
(5) : Vita Auberti rédigée par Fulbert de Chartres vers 1015
II L’abbaye de Maroilles
Un acte de donation passé en 674 par le premier abbé de l’abbaye de Maroilles Humbert (1) nous livre que la fondation du monastère maroillais en revient à un vir illustris Robertus. Celui-ci était un riche propriétaire foncier, laïque et membre de l’aristocratie neustrienne et était très probablement le maire du palais sous Clovis II. La fondation de Maroilles se situe alors dans les années 650-660 (2). L’acte révèle également que le monastère était dédié à Notre-Dame et aux saints Pierre et Paul et évoque comme église du monastère la basilicam sancte Marie Mariculis Constructam ce qui laisse supposer comme à Maubeuge qu’il n’existait alors qu’une seule église.
La littérature consacrée au domaine primitif de Saint-Pierre de Maroilles attribue à ce monastère plusieurs domaines sur lesquels je souhaite apporter quelques annotations.
Tout d’abord contrairement à la position de J M Duvosquel, on ne peut admettre que les donations effectuées par Robert autour de Maroilles comprenaient l’intégralité des territoires de Maroilles, de Marbaix et de Taisnières dont se détacha en 1242 Noyelles-sur-Sambre. Il ne s’agissait pas de villae entières mais de portions comme il est constaté dans un acte de 921 (3) .A cette date l’abbaye possédait à Taisnières 30 manses soit 450 hectares c’est à dire moins du tiers des 1498 hectares que comptent à présent Taisnières et Noyelles.
De même il est difficile, comme le suggère A M Helvétius d’y intégrer Leval et les Fayts . Il existait en effet à la périphérie de la « Terre de St Humbert » l’alleu de Senuessium-Leval qui était le domaine d’une villa carolingienne bipartite dont la pars dominica ne fut agréé au temporel foncier de l’abbaye que vers 835 (4). La villa des Fayts était un autre alleu possédant un manoir sur motte paraissant dater de la fin de l’époque carolingienne comme indiqué sur cette chronique de Liessies : « quidam Wedricus cognmen habens ad barbam ,mansionen habens apud Fagetum super tumulum aggeris, qui ibidem super fluvium Helpram apparet in loco palustri … » (5).
Ensuite la donation en raison d’un miracle par un certain Odramnus de Linières Prisches doit être revue intégralement. Il ne s’agit pas de Linières Prisches mais de Linières à Eppe-Sauvage comme je l’ai déjà démontré par ailleurs (6). Résumons ici mon analyse. Un cerf poursuivi par un chasseur vint se réfugier sous le manteau d’Humbert. Bouleversé Odramnus offrit alors au religieux de choisir parmi ses biens un domaine et Humbert porta son choix sur Linières. Cet épisode est raconté dans les deux biographies rédigées l’une par un chanoine de l’abbaye entre la seconde moitié du IXe siècle, époque de la transformation de l’abbaye en chapitre et le début du XIe siècle (7) et l’autre par un moine au moment de la restauration monastique à dater des années 1030-35 (8). Dans la vita prima, Humbert travaille à essarter un champ proche de son monastère et dans la seconde vita, la formule évasive « Forte accidit ut… », « Il arriva par hasard que…» élude la question de l’endroit où se serait passé le miracle. En effet dans les années 1030-35 , le moine biographe ne peut plus affirmer que l’abbaye possède un domaine à Linières Prisches. Prisches Lignières était un alleu qui vers 111O-20 était détenu par Amaury de Bérelles qui se fit moine à Liessies et légua au monastère ce qu’il possédait (9) . De plus la vitae 2 situe Liniacae dans le Templutensis (10) c’est à dire dans la région comprise entre la Fagne et la Thiérache. Linières est alors localisée à Eppe-Sauvage. Ainsi les biens donnés par Odramnus étaient situés au sud de la Fagne.
En ce qui concerne les donations effectuées par Humbert elles consistaient en domaines s’étendant à Mézières-sur-Oise où l’abbé était originaire et il n’y a pas sur ce sujet de remarque particulière.
Enfin l’abbaye possédait les biens fiscaux de l’oratoire de Croix (de nos jours Croix-Caluyau) et ses dépendances. Ces biens firent l’objet de contestations entre l’abbaye de Maroilles et celle de Saint-Denis avec en définitive un jugement rendu au profit de l’abbaye Saint-Denis en 750 . Ces biens provenaient d’un certain illuster vir Rodbertus. Jean Marie Duvosquel voit en cette personne le fondateur de l’abbaye de Maroilles, Joseph Semmler le considère comme un de ses descendants, comte de palais qui avait établi son pouvoir en Hainaut et qui devint en 718 un fidèle partisan de Charles Martel (11). Anne Marie Helvétius voit cette donation à l’abbaye de Saint-Denis entre 715 et 718 . Je suivrai la version de J M Duvosquel car grâce à ce jugement de 750 rendu à Attigny par Pépin le Bref nous apprenons que dès 711 , l’abbaye de Maroilles avait contesté à l’abbaye de Saint-Denis la donation de l’oratoire de Croix qui faisait très probablement parti de sa dotation originelle. Elle refusa ensuite de se plier aux décisions de Dagobert III puis à celles de Pépin qui dut confirmer son jugement en 751 (12). Les choses en restèrent dans l’état comme le prouve un acte de Charlemagne de 775 (13). Les contestations répétées mentionnées ci-dessus plaident pour une possession originelle de ces biens par l’abbaye de Maroilles. Signalons ici qu’au IX e siècle l’abbé de Maroilles Rodin fut un négociateur efficace auprès de l’Empereur car l’oratoire était rentré en possession de l’abbaye. En contrepartie l’abbé reconnaissait que son patrimoine à sa mort soit intégré dans la mense abbatiale de sorte que le souverain pouvait en disposer puisque l’abbaye était devenue royale . Cependant cette dépossession à l’époque mérovingienne dut fortement handicapée le monastère qui se voyait priver de ressources céréalières. L’oratoire de Croix possédait en effet Croix, Bousies, Fontaine-au-Bois qui formeront dès le X e siècle la seigneurie de Bousies. Les dépendances énumérées dans le jugement de 750 se situaient dans le pays de Famars : Vertinio (Vertain), Vuassoniaco (Ghissignies) Santa (Salesches) , dépendances limitées au nord par l’alleu de Noflus c’est à dire le Quesnoy et au sud par le fisc de Solesmes. Melle Helvétius et l’historien local Victor Rufin ont confondu le prieuré de Solesmes et l’oratoire de Croix.
Ainsi donc le patrimoine mérovingien de l’abbaye de Maroilles se composait de quatre blocs situés dans les régions sambrienne, Croix-caluoise,fagnarde et axonaise.
(1) : J M Duvosquel La charte de donation pp 143-177
(2) : J M Duvosquel L’abbaye de Maroilles p 94
(3) : J M Duvosquel le domaine op cit p 17 et note 47
(4) : F L Ganshof
(5) : Passage de la Chronique de Liessies commenté par S Adant, La maison d’Avesnes des origines à Gautier II, Liège 1984-85 Mémoire de l’université, faculté de philosophie et de lettres, section histoire p18
(6) : Revue n° 38 du CHGB parue en juin 2015 pp 24-27
(7) : Vita prima cartulaire du XVIIIe siècle, A.D.N 11 H 43 f° 59r°-69r° Datation par Anne Marie Helvétius
(8) : Vita secunda, J. Ghesquières, Acta Sanctorum Belgii. Bruxelles, 1788, T. IV, pp. 110 et 599 Datation par J M Duvosquel
(9) : J L Boucly « Prisches, son histoire » chapitre V Édition 2005 : Acte de 1128 dans lequel Bouchard, évêque de Cambrai confirme les biens de l’abbaye de Liessies et Acte du 28 mars 1131 qui est une nouvelle confirmation du pape Innocent III
(10) : Vita sancti Landelini J de Guyse Tome 6 page 372.
(11) : J Semmler « Zur pippinidisch »
(12) : Ch Duvivier Recherches sur le Hainaut ancien du VII e au XII e siècle Bruxelles 1865 Acte X pp 290-293
(13) : Ibidem
Article très intéressant d’A M Helvétius : Réécriture hagiographique et réforme monastique : les premières Vitae de saint Humbert de Maroilles (Xe-XIe siècles) perpsectivia.net
Une autre preuve des possessions partielles de l’abbaye de Maroilles dans les quatre localités de la terre de St Humbert : Maroilles, Marbaix, Noyelles et Taisnières, se trouve aux Archives nationales qui contiennent en F 19-610 un assez important dossier relatif à l’abbaye de Maroilles. Nous reproduisons textuellement l’étendue des propriétés de l’abbaye à la veille, ou mieux au début de la Révolution dans ces quatre villages :
N° 1. — A Maroilles les moines sont seigneurs.
Ils ont des droits féodaux avec la disme de 9000 livres de France par an, un moulin à trois tournans, 22 maisons,
en pâture et en bois 1271 rasières en prés 279 rasières en terre 189 rasières ‘739
Total du bien à Maroilles 1739 rasières.
2°. — A Marbaix ils sont seigneurs
Ils ont des droits féodaux de 2078 livres de France de revenu y compris la disme
1 moulin à vent,
2 maisons,
en pâture et en bois 114 rasières en prets 9
en terre 122
Total du bien à Marbaix 245 rasières.
3°. — A Noyelles ils sont seigneurs.
Ils ont des droits féodaux compris la disme chaque année de 1371 livres.
4 maisons en pâture 623 rasières en prets 39
en terre 108
Total du bien à Noyelles 770 rasières.
4°. — A Taisnières, l’abbaye en est seigneur.
Le droit féodal vaut année commune 4490 livres de France avec disme,
1 moulin à l’eau à 2 tournans,
i maison ferme en pâture 73 rasières en prets 6
en terre 60 environ
Total du bien à Taisnières 139 rasières
(en marge): Il a été omis sur Taisnières 53 rasières de terre reportées à la fin du prospectus. Selon François Berode (cf. BERODE Enseignements utiles pour la direction des affaires publiques et privées, in-8°, Lille, 1865) la rasière équivalait à Maroilles à 35 ares 96 centiares ; à Marbaix, à 36 ares ; à Noyelles, à 35 ares 72 ; à Taisnières à 35 ares 26. D’où il est aisé de constater que l’abbaye possédait en 1790, en terres et prairies 1°) à Maroilles 625 hectares, 34 ares, 44 centiares, l’étendue totale du village étant de 2193 hectares ; 2°) à Marbaix, 88 hectares 20 ares, la superficie totale du village s’élevant à 662 hectares ; 3°) à Noyelles, 275 hectares 4 ares, 40 centiares, pour une superficie totale de 649 hectares ; 4°) à Taisnières enfin, 67 hectares, 69 ares, 92 centiares pour une superficie totale de 849 hectares
III L’abbaye de Maubeuge
Les historiens situent la fondation du monastère des moniales de Maubeuge par Aldegonde vers 660-665 à travers la construction de l’église Notre-Dame devenue par la suite l’église Sainte-Aldegonde. Ils attribuent également à la sainte la construction de 2 autres églises : Saint-Quentin pour la communauté masculine et Saint-Pierre pour l’église paroissiale (1).
Et si Aldegonde n’avait fondé aucun de ces bâtiments religieux?! Certes Aldegonde a bien établi et fut l’abbesse d’une communauté double avec une majorité de moniales comme l’atteste la vita Aldegondœ prima rédigée selon A M Helvétius par un biographe contemporain d’Aldegonde. Il y avait bien sûr des bâtiments servant de dortoirs et probablement une sorte de cloître (2). Cependant l’auteur ne fournit aucun renseignement sur la fondation du monastère, ne faisant allusion qu’à une église dans laquelle les moniales se rendaient pour la prière et dans laquelle se produisit un miracle. Ceci est très surprenant. L’auteur de la Vita Aldegondis secunda rédigée dans la seconde moitié du IX e siècle relate ce même miracle et le situe dans l’église Saint-Pierre. A la fin du IX e siècle les moniales confectionnèrent une fausse donation d’Aldegonde (3) et firent allusion à l’altare dédié à Notre-Dame mais jamais à une église. Donc du vivant d’Aldegonde seule l’église paroissiale Saint-Pierre existait dans laquelle un autel fut dédié à Notre-Dame et qui était utilisé par la communauté des moniales. L’église servait donc à la fois aux services paroissial et abbatial. Cette absence d’abbatiale du temps d’Aldegonde explique que celle ci fut enterrée à Cousolre dans un de ses domaines propres. Le corps de la sainte fut ensuite ramenée à Maubeuge et placée dans l’église Saint-Pierre, d’où probablement l’explication à la rédaction de la VA1 .
Cette fausse donation des moniales avait pour but de limiter les prétentions d’une abbesse laïque, probablement mise à la tête du monastère par le comte de Vermandois Herbert Ier qui en exerçait l’autorité. Au début du X e siècle c’est Herbert II qui en était le détenteur laïque. Il remplaça les clercs au service des moniales par des chanoines venus de Saint-Quentin en Vermandois. Ce changement occasionna alors la confection d’un faux par ces chanoines en vue d’établir l’ancienneté de leur communauté à Maubeuge à travers un faux titre de propriété remontant à l’époque d’Aldegonde. Or ces chanoines n’ont jamais possédé d’église à leur nom mais célébraient eux aussi leurs offices dans l’église Saint-Pierre.
Mais alors quand fut érigée l’abbatiale Notre-Dame? Il faut attendre le X e siècle pour trouver trace de cette église dans Relatio miraculorum S Gisleni (4) où les reliques de Saint-Ghislain y furent déposés vers 950 suite à un vol des chanoines de Maubeuge. L’abbatiale fut très probablement construite dans la seconde moitié du IX e siècle où pour la première fois Aldegonde est citée comme fondatrice du monastère de Maubeuge dans le chapitre 27 de la VA2. La publication de cette dernière serait alors l’opportunité de démontrer le bien fondé de la construction de la première abbatiale Notre-Dame qui remonterait donc aux environs de 870-880. L’église Notre-Dame portera par la suite le nom de Vieux Moustier qui sera détruite en 1754 (5) et remplacée par une nouvelle abbatiale Notre-Dame.
(1) : Zéphir Piérart Recherches historiques sur Maubeuge et son canton et les communes limitrophes.p 133 Alfred Jennepin Histoire de la ville de Maubeuge 2 p 502 Edmond Leroy Histoire de sainte Aldegonde pp 224-245
(2) : Anne-Marie Helvétius : Sainte Aldegonde et les origines du monastère de Maubeuge-(persee.fr)
(3) : J Daris « Vie de Sainte Aldegonde », AHEB II pp 42-44
(4) : La première Vie de Ghislain (BHL 3552), l’additamentum et la relatio miraculorum ont été étudiés par D. Van Overstraeten dans sa thèse inédite
(5) : F Vinchant Annales de la province et comté du Hainaut tome 2 Ed 1848 p 50
IV L’abbaye de Liessies
Selon la Vitae S Hiltrudis rédigée très probablement à la fin du XI e siècle, l’abbaye de Liessies aurait été fondée en 764 par le comte Wibert, originaire du Poitou. Il aurait nommé son fils Gontard en tant que premier abbé. Une de ses filles Hiltrude se serait retirée au monastère durant 17 années. Cependant les Gesta episcoporum Cameracensium écrits vers 1024-1025 et attribués au scrupuleux chanoine Foulques ne mentionnent absolument pas l’abbaye de Liessies. De même aucun culte à Hiltrude n’est attesté avant le XII e siècle. Ces faits ne plaident donc pas en faveur de la véracité de la chronologie des événements racontée dans cette vitae. Il convient alors de se rapprocher des Miracula S Mariœ Landunensis écrits par Hériman de Tournai en 1146 dans son passage consacré à Liessies: l’historien mentionne qu’Ade de Roucy accepta de se marier en troisième noce avec Thierry d’Avesnes et qu’elle fonda une maison religieuse sur une terre lui appartenant en propre à Liessies. Il est ici précisé fondation et non restauration d’une abbaye plus ancienne. Des précisions quant à la fondation nous sont connues par l’auteur du Chronicon Lœtiense rédigévers 1200 qui fait état d’un transfert de chapitre de chanoines d’Avesnes à Liessies et d’une restauration de l’abbaye à l’ordre bénédictin en 1095 . Pour cette restauration l’auteur fait référence à une charte datée de cette même année émanant de l’évêque Gautier de Cambrai, acte qui est un faux manifeste destiné à revendiquer des possessions à Liessies par l’évêque et pour lequel le mot restauration ne doit pas être retenu au sens strict.
Ainsi donc l’origine de l’abbaye de Liessies ne remonterait pas avant l’extrême fin du XI e siècle lorsque Ade, épouse de Thierry d’Avesnes, installa dans un domaine qui lui était propre à Liessies une abbaye bénédictine après avoir, avec l’accord de son mari, transférer peu de temps avant, un chapitre de chanoines provenant d’Avesnes. La Vitae S Hiltrudis doit se situer juste après ce transfert afin de légitimer le remplacement de chanoines par des moines et peut-être ainsi d’anticiper d’éventuels conflits entre les deux communautés, voire de les apaiser. L’auteur de la Vitae S Hiltrudis mentionne en effet la présence de clerici à Liessies. Il indique également, et ceci est troublant, que la mère d’Hiltrude s’appelait Ade et que ,nous l’avons dit, le frère de la sainte, premier abbé de l’abbaye se prénommait Gontard, prénom présentant une forte analogie avec Gonterus qui sera le premier abbé de Liessies à la fin du XI et au début du XII e siècle. Il paraît incontestable que l’abbaye de Liessies prend ses origines dans la dernière décennie du XI e siècle, très probablement à l’endroit où se dressait auparavant une petite église contenant les reliques d’une sainte appelée Hiltrude .
Conclusion
Trois de nos monastères ont été érigés dans le cadre du mouvement monastique qui prit naissance au VII e siècle dans l’ancien pagus de Hainaut ou plus exactement de celui de Famars si l’on ne souhaite pas commettre de léger anachronisme.
Hautmont fondé dans la première moitié du VII e siècle fut le premier de ces monastères. Contrairement aux idées reçues, Madelgaire n’en fut pas le fondateur. Ici le rôle épiscopal de Saint-Aubert fut déterminant dans la création de cet établissement, rôle très probablement mené sous l’influence du maire de palais Ebroin et de la reine Bathilde, personnages qui, à l’époque, en Neustrie, furent les initiateurs de ce mouvement religieux.
La fondation de Maroilles fut d’ordre privé et érigée par un aristocrate neustrien qui avait très vite compris l’importance que pouvait jouer ce nouveau mouvement ecclésiastique. Trois personnes, le fondateur Robert, l’abbé Humbert et son parent Odramnus dotèrent le domaine primitif qui fut constitué de quatre blocs pour lesquels il a été judicieux de revoir leurs emplacements et leurs limites.
Maubeuge est le dernier monastère édifié au VII e siècle, vers 660-665. Aldegonde n’y fit construire aucune église et encore moins une abbatiale. Le monastère principalement composé de moniales fut bâti près de celui d’Hautmont qui lui, était réservé aux vocations masculines. Cette proximité des deux communautés s’inscrivit très probablement dans un contexte d’antagonisme politique, l’une en faveur des dirigeants neustriens et l’autre ralliée au parti des pippinides.
Quant à Liessies, son origine mérovingienne n’est que légende. L’abbaye vit le jour à la fin du XI e siècle sous l’impact de la réforme grégorienne.
Certaines «vérités historiques» jusqu’à présent établies ne correspondent donc pas à la réalité des faits. Il en va ainsi avec Madelgaire le fondateur inventé d’Hautmont, du domaine originel de Maroilles différent de ses réelles possessions, du mythe imaginaire des trois églises d’Aldegonde à Maubeuge et enfin de l’ancienneté de Liessies soit disant mérovingienne mais en réalité carolingienne.
Notons pour terminer que cette étude est largement tributaire des nombreux travaux entrepris par les talentueux historiens que j’ai cités tout au long de cette analyse. Certaines interprétations ont été revisitées et ont conduit l’histoire des origines de nos monastères sur une autre voie (peut-être un peu plus près de celle de Dieu …). Que ces nouvelles approches, qui demeurent je l’avoue subjectives pour certaines, puissent rétablir un peu plus de vérité historique; c’est en tout cas le seul objectif recherché.