Même si nous savons que le fer a été utilisé dans l’Avesnois depuis des temps reculés, d’où la présence de certains de ses toponymes (Féron, Ferrière, le Favril..) nous pouvions penser que son extraction était très limitée et était l’œuvre de quelques maitres de forge qui utilisaient le minerai pour la fabrication de la fonte et du fer. Son emploi semblait donc avoir été restreint d’autant que de nos jours les communes ne disposent pas de vestiges miniers connus et n’ont pas connaissance d’une éventuelle existence passée de ces exploitations.
Or il n’en est rien. Il y a bien eu un passé ferrifère dans une soixantaine de nos communes ! C’est grâce au géologue Alphonse Meugy qui a dressé en 1851 l’inventaire par communes des parcelles cadastrales où le minerai de fer a été exploité dans le bassin ferrifère de l’Avesnois (Archives Départementales du Nord Série S 8365) que nous pouvons rassembler de précieuses informations relatives à ces exploitations. Des lettres et des rapports d’Ingénieurs des Mines ou des Travaux Publics de l’État consultés aux Archives Départementales du Nord permettent de compléter ces recherches.
Ces mines étaient localisées entre Maubeuge et Fourmies et leurs exploitations débutèrent vers 1730 pour s’arrêter vers 1880, date à laquelle la qualité insuffisante du minerai ne permettait plus de faire face à la modernisation des procédés de fabrication de l’acier.
Deux types de minerai de fer y étaient exploités :
* le minerai Couvinien ou Mine Rouge *le minerai d’alluvions ou Mine Jaune
la Mine Rouge
La couche principale de la Mine Rouge affleurait au sud du canton de Trélon, traversant d’ouest en est les communes de Wignehies, Féron, Glageon, Trélon, et Ohain sur plus de dix kilomètres avant de se poursuivre en Belgique (Les Minerais de fer oolithique de France. 1909 1922. Lucien Cayeux Tome 1, p 206 à p 227). Elle était répartie en couches régulières, orientées est-ouest et plongeant vers le nord avec un pendage entre 45° et 68°. Elle fut exploitée sous couvert de 6 concessions nécessitant le creusement de rangées de puits, de diamètre de l’ordre de 2 à 2,50 m et de 30 à 60 m de profondeur.
la Mine Jaune
Ce minerai se repartissait de manière plus aléatoire sur le territoire. Il se trouvait habituellement en amas cunéiformes et allongés parallèlement à la direction des couches calcaires et schisteuses du terrain anthracifère, avec une largeur maximale de 10 à 15 mètres selon A Meugy (Sur le gisement, l’âge et le mode de formation des minerais de fer du département du nord de la Belgique, Annales des Mines, V ème série, Tome VIII, pages 147 à 185). Outre ces amas, trois pseudo-couches furent identifiées : la Mine Jaune du Midi, le Train intermédiaire et le Train du Nord.
Il alimentait les hauts-fourneaux de coke de Maubeuge, Denain, Ferrière-la-Grande et Aulnois-les-Berlaimont, ainsi que les hauts-fourneaux de charbon de bois de Sars-Poterie, Fourmies et Trélon (M. Drouot, Notice sur le gisement, l’exploitation et le lavage du minerai de fer dit d’alluvion, dans l’arrondissement d’Avesnes, département du Nord, Annales des Mines de 1841, pages 497 à 525).
Aspects juridiques
Notons que les cadres législatifs de la Mine Rouge et de la Mine Jaune étaient différents. En effet, le minerai d’alluvion n’était pas concessible et était exploitable par le propriétaire de la surface, sous le régime des minières. Ce point est explicité dans une lettre du Conseiller d’état au Préfet du Nord de 1834 indiquant qu’« en effet, la nature du minerai, sa disposition en amas peu considérable, disséminé irrégulièrement dans une bande argileuse […] et qui présente fréquemment de vastes intervalles stériles, ne permettent point d’établir un système de travaux régulier et souterrain, système indispensable pour instituer une concession » (Archives Départementales S 8375).
Des minerais spécifiques à la fonte
Les minerais rouges et jaunes convenaient parfaitement au moulage de première fusion des ustensiles en fonte tels que les plaques, les pots, les marmites, les balustrades de fenêtres etc. Ce genre de fabrication se faisait dans des fourneaux dont certains étaient alimentés au bois, ce qui permettait de couler avec plus de précision et de perfections ces objets variés. C’était notamment le cas du fourneau de Sars-Poteries décrit par M L Comte, ingénieur des Mines en 1844 (Annuaire Statistique du département du Nord : p 91 à 178. Notice sur l’histoire, les progrès et l’avenir de l’industrie du fer dans le département du Nord) : » En 1848 avec l’usage du bois vert, mélangé en volumes égaux avec le charbon, à Fourmies on a fait un pas de plus dans la fabrication de la fonte avec une économie de 15% sur le volume de bois consommé. En même temps que ces nouveaux procédés se répandaient dans le département du Nord, un nouveau fourneau de bois s’élevait à Sars-Poteries. Ce fourneau construit en 1839 était disposé pour pouvoir marcher à volonté à l’air chaud et au bois plus ou moins carbonisé; la flamme du gueulard devait servir à chauffer l’air, à dessécher ou à torréfier le bois et en outre à produire la vapeur nécessaire à l’alimentation de la machine qui fait marcher la soufflerie. Depuis sa mise à feu en 1840, le fourneau de Sars-Poteries a presque toujours été activé, ses chaudières à vapeur sont chauffées par le gaz du gueulard mais jusqu’ici il a toujours marché à l’air froid et n’a consommé en général que du charbon de bois… »
« Le fourneau de Sars-Poteries alimenté en totalité avec des mines jaunes est susceptible de produire de la fonte. Activé par une machine à vapeur, il est à l’abri des chômages souvent inévitables, pour les usines hydrauliques et susceptible d’une production journalière plus considérable que les fourneaux de Trélon et de Fourmies. Sous ces différents rapports il est dans des conditions plus avantageuses que ces derniers. »
Caractéristiques des concessions des Mines Rouges
Concession | Concessionnaire | Attribution | Fin Travaux | Communes concernées | Surface en Ha |
Trélon Ohain | Comte de Mérode | décret du 19/04/1811 | 1880 | Trélon Ohain Wallers-Trélon | 1600 |
Glageon | M. Leroy et Mme Veuve Hufty puis cession aux forges de Sougland | Ordonnance royale du 19/04/1825 | 1877 | Glageon | 275 |
Féron | M. Leroy et Mme Veuve Hufty puis cession aux forges de Sougland | Ordonnance royale du 25/10/1825 | Avant 1843 | Féron | 250 |
Fourmies | M. Leroy et Mme Veuve Hufty puis cession aux forges de Sougland | Ordonnance royale du 25/07/1827 | Avant 1843 | Fourmies | 275 |
Pizons | M. Hanoir, Serret, Pillon et Cie, Hauts fourneaux du Nord Senelle-Maubeuge | Ordonnance royale du 12/10/1841 | Inconnu | Wignehies Fourmies | 123 |
Wignehies | Société Denain Anzin | décret du 13/06/1866 | Pas de travaux connus | Wignehies | 268 |
L’exploitation de la Mine Rouge se faisait par des galeries boisées de 1,50 m à 2 m de hauteur sur 1,50 m de largeur. Il pouvait y avoir 4 galeries par étages, permettant ainsi « d’exploiter sur une hauteur de 60 m environ, le Grand Train de Mine Rouge, avec 5 étages d’exploitation entre lesquels on laissera des massifs d’une égale hauteur, que l’on reprendra ensuite facilement et sans danger en commençant par celui qui sera la plus bas » (Archives Départementales S 8264 lettre au Préfet de 1842).
A Trélon-Ohain, l’extraction journalière moyenne de la Mine Rouge était de 120 à 140 barils,soit environ 4 tonnes, avec une capacité de 30 kilos par baril. L’extraction annuelle atteint 1200 tonnes entre 1844 et 1847. A Glageon, l’extraction journalière moyenne était de 200 à 280 barils de Mine Rouge, soit environ 6 à 8 tonnes (Archives Départementales du Nord S 8365 : Mémoire sur les minerai de fer du département du Nord et notamment sur les gîtes ferrugineux de l’arrondissement d’Avesnes et de Belgique, Ingénieur des Mines, Janvier 1852).
Descriptifs des travaux de la Mine Rouge par concession
1 : Concession de Trélon Ohain
L’exploitation régulière de la mine de Trélon débuta en 1780, dans la partie orientale de la commune, initialement à 700 ou 800 m à l’est du centre du village, un peu au nord des affleurements puis se prolongea jusqu’à 500 m environ à l’ouest du village d’Ohain. L’exploitation fut suspendue en 1849, à la 17ème fosse. Après une longue période d’inactivité, les travaux auraient été repris en 1872 (Archives Départementales S 8371). Un plan de la concession de Trélon au 1/20 000ème de 1851 localise ces 17 puits, alignés au nord de la zone d’affleurement entre l’étang de la rue des haies et le trou Beaumont.
D’après un rapport d’Ingénieur des Mines du 28/04/1846, les puits de la concession de Trélon avaient une profondeur de 40 à 45 mètres, une section rectangulaire de 2 m par 1,5 m. Ils étaient boisés et conservés pendant toute la durée de l’exploitation.
A Ohain, pendant les travaux de mise en exploitation, le fonctionnement de pompes d’épuisement dans un puits à 700 mètres environ du village provoqua le tarissement de plusieurs puits d’eau (Archives Départementales S 8371). A cela s’ajouta une détérioration qualitative de l’eau liée à l’influence du minerai de fer confirmée par une lettre de l’Ingénieur des Mines en 1873, « l’eau de ces fontaines est très fortement colorée en rouge et est absolument impropre à la plupart des usages domestiques ».
2 : Concession de Glageon (Couplevoie)
D’après A. Meugy, au hameau de Couplevoie, la couche de Mine Rouge affleurait à 100 m environ de la ligne de contact entre le calcaire inférieur et les schistes rouges et verdâtres dans lesquels elle se trouvait comprise. Un plan de la concession de Glageon au 1/10 000ème daté de 1824 montre l’emplacement de 23 puits, dont 4 le long de l’affleurement de la Mine Rouge, les autres puits concernant la Mine Jaune.
En 1842, la fosse avait une profondeur de 60 mètres (Archives Nationales, F 14 3848). En 1859, la Mine Rouge et 3 couches de Mine Jaune y étaient exploitées.
3 : Concession de Féron
Un plan daté de 1824, annexé à une demande de concession dans la commune de
Féron fait état de l’affleurement de 3 « veines jaunes » et d’une « veine rouge » mais aucun puits ne figure sur ce plan. Le minerai Rouge ne semble plus exploité en 1843 car un procès verbal du 14/07/1843 indique que le minerai jaune d’alluvions est le seul exploité et« depuis quelques années aucun travail d’exploitation n’y a été entrepris » (Archives Nationales, F 14 3848).
4 : Concession de Fourmies
Un plan de la concession de Fourmies de 1829 montre seulement 2 puits le
long de l’affleurement de la Mine Rouge ainsi que 13 puits projetés. Trois autres
ouvrages concernent la Mine Jaune. En 1843, le seul minerai exploité est la Mine
Jaune dont l’exploitation prendra fin en 1860.
5 : Concession de Pizons
Meugy n’évoque aucuns travaux sur cette concession, alors qu’il existait déjà des puits lors de la rédaction de son état des lieux en 1852. Une coupe sur la concession de Pizons fait état de deux puits en 1842 sans qu’il ne soit possible de les localiser.
6 : Concession de Wignehies
Bien que la concession de Wignehies soit citée dans les archives, il n’existe pas à priori de données sur l’exploitation ou l’existence de puits s’y rapportant.
Concession | Nombre de Puits | Profondeur |
Trélon Ohain | 17 | 45 mètres |
Glageon | 5 en 1824 | 60 mètres |
Fourmies | 2 en 1829 | – |
Pizons | 2 en 1842 | – |
Caractéristiques de l’exploitation de la Mine Jaune
L’Ingénieur des Mines Drouot a détaillé l’exploitation du minerai de fer d’alluvion dans une notice de 1841 (M. Drouot, Notice sur le gisement, l’exploitation et le lavage du minerai de fer dit d’alluvion, dans l’arrondissement d’Avesnes, département du Nord, Annales des Mines de 1841, pages 497 à 525). Jusqu’à 3 mètres de recouvrement, elle se faisait à ciel-ouvert (minière). L’ouverture avoisinait les 10 à 15 mètres sur une profondeur de 15 à 20 mètres. La production des minières variait de quelques mètres cubes à 300-400 m3.
Au-delà de 3 mètres de recouvrement, l’exploitation était réalisée par puits dits « non permanents », d’1 m de diamètre et sommairement boisés. Le premier puits était foré jusqu’au mur du gîte et les suivants étaient distants de 20 mètres. L’exploitation se pratiquait ensuite par tranches montantes remblayées à l’aide de galeries d’un mètre de largeur, d’une longueur maximale de 10 m à partir du puits. Les minières en Mine Jaune étaient généralement peu profondes c’est à dire entre 10 et 20 mètres. La production journalière de chaque puits variait de 4 à 8 m3 selon A Meugy. Ce dernier établit le classement des volumes ayant été extraits sur chaque commune jusqu’en 1851 :
Nom de la commune | Production en m3 |
Saint-Hilaire-sur-Helpe | 127 205 |
Leval | 100 606 |
Recquignies | 97 335 |
Beaufort | 81 281 |
Saint-Rémy-Chaussée | 76 383 |
Ferrière la Grande | 67 445 |
Hautmont | 57 386 |
Glageon | 49 029 |
Ecuélin | 48 142 |
Ohain-Trélon | 45 000 |
Rousies | 41 962 |
Cerfontaine | 33 994 |
Damousies | 33 940 |
Saint Rémy Mal Bâti | 32 960 |
Colleret | 32 808 |
Eclaibes | 30 572 |
Boussois | 30 000 |
Marbaix | 28 850 |
Fourmies | 27 990 |
Dimont | 22 484 |
Pont Sur Sambre | 20 646 |
Avesnelles | 17 520 |
Limont-Fontaine | 15 684 |
Dompierre-sur-Helpe | 13 211 |
Wattignies la Victoire | 11 495 |
Quiévélon | 10 702 |
Noyelles sur Sambre | 9 332 |
Jeumont | 8 066 |
Maubeuge | 6 904 |
Ferrière la Petite | 6 302 |
Cousolre | 5 698 |
Flaumont Waudrechies | 5 298 |
Haut lieu | 4 900 |
Beugnies | 4 854 |
Taisnières en Thierache | 3 795 |
Marpent | 3 467 |
Choisies | 3 329 |
Saint Aubin | 3 278 |
Floursies | 2 803 |
Bachant | 2 400 |
Dourlers | 2 129 |
Assevent | 1 320 |
Felleries | 985 |
Obrechies | 829 |
Solrinnes | 749 |
Solre le Château | 259 |
Sémeries | 149 |
Sars Poteries | 99 |
Sassegnies | 90 |
Wallers Trélon | 70 |
Baives | 55 |
Cartographie des exploitations de la Mine Jaune par commune
59 communes ont été recensées détenir des minières réparties dans 120 lieux-dits. 18 autres communes ont fait l’objet de déclaration de travaux entre 1851 et 1862 mais malheureusement sans aucune précision particulière les concernant :
• Armandy• Banfert• Baslieu• Bellaing Xallers• Bellignies• Conde• Dielette
• Fermies• Grassegnies• Hergies •Houdain •Honhengier• Maysent• Mormal• Nordain• Rocq• Tasnières sur Hon• Wallers
Conclusion
L’ensemble des travaux souterrains, en Mine Rouge comme en Mine Jaune, est considéré à moins de 50 m de profondeur. Ces exploitations furent au cours du temps remblayées, ceci expliquant l’absence de trace sur le terrain, d’autant que les galeries n’étaient pas creusées à partir de la surface. Au mieux quelques soupçons de traces de ces vestiges, comme plusieurs grandes étendues d’eau ou dépressions d’une superficie de quelques centaines de mètres carrés. (Sars-Poteries, Ferrière-la-Grande et Boussois).
Le document de A Meugy est donc un document référence en matière de connaissance du bassin ferrifère de l’Avesnois. Nous ne pouvons que lui être reconnaissant pour ce travail accompli qui nous a permis de redécouvrir un épisode de notre économie locale tout à fait oublié.