Sans avoir la prétention de faire un historique complet de la question, je voudrais cependant retracer tout d’abord, en quelques lignes, l’histoire de la race chevaline « Le Trait du Nord » dans ses origines. Après ce préambule indispensable, je me propose ensuite de mettre en avant son prestigieux prototype et ses remarquables aptitudes qui font de lui un cheval d’excellence, sélectionné initialement pour aider l’Homme dans le travail de la terre ou dans les mines pour les petits modèles. Je voudrais enfin et surtout attirer l’attention sur l’immense danger qui pèse sur cette race de cheval d’exception considérée de nos jours menacée d’extinction.
Histoire
Origine :
Le Cheval de trait du Nord est le cousin germain du Cheval de trait Belge. Tous deux ont à leur origine le Cheval Belge primitif, qui, à l’époque quaternaire, habitait le bassin supérieur de la Meuse, sur la région du plateau du Condroz parcouru par la Lesse et s’étendant de Dinan à Liège, le long de la rive droite de la Meuse, sur une largeur moyenne de 40 km. De ce type préhistorique, un rameau a traversé la Meuse et a pénétré vers l’Ouest, dans les plaines limoneuses de la Belgique, et devint la sous-race Brabançonne. Une autre extension opposée se dirigeant vers l’Est, sur les massifs élevés de l’Ardenne, au climat rude, au sol schisteux et pauvre ne donnant que de précaires conditions d’existence, a donné naissance à la sous-race Ardennaise-Belge. Enfin une partie de cette population restée sur place a fourni la sous-race Condrozienne, intermédiaire entre les deux précédentes. C’est l’ensemble de ces variétés qui peuplait le Nord de la France et la Belgique et dont une branche a fourni le Cheval de trait du Nord. Quelques heureux croisements avec le Boulonnais ont transposé chez celui-ci de la masse, de l’os et accru chez le Cheval de Trait du Nord l’influx nerveux et la distinction. Cependant pour arriver à un tel résultat les éleveurs du Nord ont du faire preuve de beaucoup d’opiniâtreté.
La persévérance, secret de la réussite :
Par leurs propres moyens, sans encouragements ni aide de l’administration des haras, les éleveurs du Nord, sous la direction d’hommes compétents ont sélectionné et fixé une merveilleuse race de gros trait répondant aux besoins de la culture de notre région. Pourtant la cause était loin d’être gagnée. Rappelons les faits.
Dans ces régions, à savoir le Brabant, l’Ardenne et le Condroz, l’introduction d’étalons étrangers légers, haut montés et étroits de poitrine : Hoslteinois, Napolitains et Danois ou Orientaux, a eu une répercussion néfaste sur l’élevage chevalin, et l’évolution de la race chevaline belge fut arrêtée et, comme l’a dit le professeur Leyder, « menacée d’un état de stagnation fatale ».
Dès 1864, les éleveurs belges ont réagi vigoureusement contre ce néfaste état de choses. Il n’en fut pas de même pour le Nord de la France, où les Officiers de remonte et des Haras avaient un pouvoir absolu sur notre production chevaline. Ceux-ci, suivant leurs inclinations personnelles d’ailleurs, dénuées de toute logique, préféraient les Chevaux légers, aux lignes élégantes. Cela leur était d’autant plus facile que le jury était ainsi composé : le directeur de dépôt d’Étalons de Compiègne ou son délégué, dont la voix était prépondérante, un officier de remonte, le Directeur départemental des services vétérinaires et un membre civil. Les 2 premiers avaient donc toujours la majorité. Ainsi pour une subvention de 2.000 fr, alors que celle votée annuellement par le Conseil général du Nord dépassait 10 000 fr, l’Administration des Haras agissait contre l’intérêt général. En 1902, le Conseil général augmenta la subvention d’une somme égale à celle de la subvention ministérielle, avec prière, pour celle-ci, de la reporter sur les Chevaux de demi-sang, et décida que les jurys seraient uniquement formés avec les commissions hippiques et agricoles de chaque arrondissement. Les Officiers de remonte et des haras étaient donc exclus. C’est à partir de cette date que l’élevage chevalin allait pouvoir se pratiquer librement suivant le but et le désir des Éleveurs. Ceux-ci ayant bien tous les mêmes idées, mais isolées, n’avaient aucune force agissante. C’est alors que M. Monsarrat prit en Mai 1902 la direction des Services vétérinaires du Nord. Il intervint auprès de la Société des agriculteurs du Nord et, le 5 Août 1903, en accord avec M. Emile Davaine, devenu par la suite sénateur, présenta le projet de création d’un Stud-Book du Cheval de gros trait du Nord, qui fut accepté et auquel de nombreux Éleveurs adhérèrent. Ainsi l’élevage du Cheval de trait du Nord était dans une excellente voie, et les incessants efforts des dirigeants du Stud-Book lui préparaient un avenir certain. On sentait encore que l’Administration des Haras était hostile à la reconnaissance de la race de Trait du Nord et, en 1910, au Concours central, elle la rangea avec la race Ardennaise avec la mention type du Nord et ayant plus de 1 m. 60. Or, le Cheval du trait du Nord avait une taille standard oscillant autour de 1 m. 60 en plus ou en moins. Ce n’est qu’en 1913 que la race fut reconnue officiellement et constitua au Concours central un groupe distinct. L’essor de cette race fut entravé par la guerre, et l’invasion de toutes ces régions d’élevage mit fin aux espérances qui répondaient enfin aux incessants efforts du Stud-Book. Quelques reproducteurs inscrits avant 1914 ayant été évacués avant l’invasion permirent, dès 1919, l’ouverture d’un nouveau livre généalogique. Les récupérations effectuées en pays rhénans en particulier en augmentèrent encore les effectifs, et les achats d’Etalons en Belgique firent que, en 1923, 1739 sujets étaient inscrits, dont 325 Étalons, 1.260 Juments et 154 produits. Les concours régionaux se multiplièrent, et l’élevage devint florissant.
L’obtention du Cheval de trait du Nord et surtout sa reconnaissance officielle est donc un bel exemple de solidarité et de coopération. Ce n’est qu’à la suite de luttes et d’efforts persévérants que les éleveurs sous l’égide de la « Société des Agriculteurs du Nord » avec l’aide des Présidents successifs de cette Société : Emile Davaine, Sénateur et Ernest Macarez, Député, parvinrent à présenter leur race dans les Concours, même après la création du Stud-Book, sous le nom de race de Trait du Nord.
Perfections générales et Aptitudes
Aspect général parfait :
Le Cheval de trait du Nord, trapu, massif, est formé par des masses musculaires très développées portées par un squelette puissant.
Tête : petite, quelquefois un peu forte, mais toujours expressive, énergique et bien attachée ; Front : plat ; Œil : un peu petit, vif, abrité dans des arcades orbitaires saillantes ; Chanfrein : droit, parfois légèrement déprimé ; Lèvres : bien appliquées l’une contre l’autre ; Ganaches : sèches et nettes ;. Oreilles : courtes, bien portées, très mobiles;
Encolure : courte, puissante, garnie de crins assez fins et abondants ; Garrot : apparaît un , peu bas, car généralement fondu dans les masses musculaires voisines ; Dos : court et droit; Rein : court et large ; Croupe : large, puissamment musclée, d’obliquité moyenne ; Queue : bien implantée pourvue de crins assez fins ; Poitrine : profonde, bien descendue, avec passage de sangle irréprochable; Poitrail : large, avec des pectoraux développés au maximum; Flanc : court, bien harmonisé avec les régions qu’il relie.
Membres : très musclés ; Articulations : nettes, sèches, bien développées dans tous leurs diamètres; Canons : courts, très gros ; Tendons : nets et secs, dépourvus de fanons ou garnis de fanons peu développés ; Paturons : larges et courts ; Pieds : bien conformés ; Talons : hauts ; Fourchette : large et épaisse ; Sole : bien excavée ; Cornes : très résistantes.
Robe : baie, alezane, aubère ou rouanne. Les robes grise ou noire se font de plus en plus rares.
Allures : bien équilibrées au pas et au trot, fournissent des foulées tout à fait remarquables. Taille : oscille autour de 1 m. 65 pour les Étalons et de 1 m. 60 pour les Juments. Le poids varie de 800 à 1.000 kg., quelquefois plus.
Aptitudes remarquables :
Comme son standard l’indique la conformation du Cheval de trait du Nord est identique à celle du Cheval de Trait Belge. Cela tient, d’une part, aux mêmes origines qu’ils ont l’un et l’autre et, d’autre part, à la même nature et fertilité du sol sur lequel ils sont élevés. De plus, les nombreux échanges d’Étalons et de produits de ces deux races entre la Belgique et le Nord de la France en accusent l’étroite parenté. Toutefois, l’allaitement maternel plus prolongé, complété souvent avec du lait de vache, l’avoine qu’il reçoit en abondance, en font un animal robuste, rustique, énergique et possédant un influx nerveux supérieur à celui du Cheval Belge. A 18 mois, son développement physique est très avancé, et il commence à travailler quelques heures par jour attelé en compagnie de chevaux adultes. Son rendement augmente rapidement et, lorsqu’il est en âge d’être vendu, il a déjà payé presque en totalité son élevage. Doux, maniable, courageux et dur à la fatigue, c’est un, admirable moteur de trait lent qui, au pas, est capable dé tirer les charges les plus lourdes. Il convient parfaitement dans toutes les régions de grosse culture, où, à l’Automne, les charrois de betteraves nécessitent des animaux puissamment, musclés. C’est le cas pour la région du Nord de la France, où l’on peut voir notamment deux chevaux arracher littéralement de lourds chariots de betteraves et les mener jusqu’à la gare, souvent sur des routes, pavées très dures. En résumé, c’est le moteur idéal, pour les contrées où la nature du sol exige pour son travail une traction puissante.
Les premiers effectifs inscrits.
Avant la guerre seul le département du Nord était soumis au Stud-Book, et 280 Étalons, 1101 Juments et 482 produits étaient inscrits. En 1924, après la réouverture du Livre généalogique et les efforts incessants de reconstitution, 251 Étalons, 1640 Juments et 92 produits y figuraient et se répartissaient ainsi : département du Nord, 183 Étalons et 905 Juments; autres départements : 68 Étalons et 135 Juments. En 1929, on compte 122 Étalons, 4468 Juments et 1342 produits.
Sujets d’élite des années 1930.
Les nombreux concours ont mis en valeur quelques sujets remarquables, dont un des plus anciens est Beau-Type, à MM. Emile Davaine, et Pierre-Debuchy, et qui fut l’origine de toute une lignée d’excellents Chevaux : Socrate et Ay Garibaldi, à M. Leleu Crépin; Labori, à M. Henri Deghilage; Prima, à M.Gustave Bruniaux; Père-la-Victoire et son fils, Bel-Ami, à M. E.et G. Macarez; Bel-Ami, à peine âgé de 2 ans, mesurait déjà 30 cm de tour de canon, preuve d’un squelette puissant; Conquérant, frère du fameux champion belge Albion d’Hor, à M. Gabet.
En danger d’extinction
Evolution de l’usage du cheval « lourd »
Malheureusement, l’arrivée au sommet de cet élevage coïncide avec la poussée de la mécanisation et de la motorisation agricoles. De 1938 à 1968, les statistiques officielles montrent qu’en France 1942 milliers de chevaux de tous âges ont disparu, dont 1599 milliers de chevaux adultes (de trois ans et plus, poulinières comprises). Au cours de cette période, l’effectif des chevaux s’est donc réduit au tiers de l’effectif initial, cependant que le parc de tracteurs s’est multiplié par 35 à 36 : en moyenne 30 tracteurs ont été substitués à 45 chevaux.
Afin d’acheter des tracteurs et du matériel mécanique, les sujets d’élevage
sauvés ont été vendus pour la boucherie. On a non seulement vendu des géniteurs, mais des poulains et des pouliches au lieu de les sélectionner, de les soigner, de les élever. Probablement, faut-il trouver là l’une des causes de l’insuffisance numérique actuelle d’étalons.
Plan de sauvegarde Urgence
L’hippophagie permet à ce cheval de subsister dans les années 1970, avant le renouveau de l’attelage de loisir et de travail. Les associations d’éleveurs et d’utilisateurs de ce cheval, comme le syndicat d’élevage du cheval trait du Nord, organisent en effet sa reconversion dans l’équitation de travail telle que le débardage, et dans les loisirs équestres tels que l’attelage. Néanmoins ce cheval emblématique de la région possède l’un des plus faibles effectifs parmi les neuf races de chevaux de trait français. Un plan de sauvegarde entre la région et le syndicat de la race a vu le jour en 2010 ; il a permis d’augmenter le nombre de naissances pour 2014. Cependant en 2018, on compte 7 étalons trait du Nord en activité, contre 13 en 2013 et 17 en 2007. Ce faible nombre d’étalons reproducteurs expose dangereusement la race à une consanguinité qui ne cesse d’augmenter. Toujours en 2018, 112 juments trait du Nord ont été saillies contre 171 en 2013 et 204 en 2012. On dénombre 70 naissances en 2022, 76 immatriculations enregistrées en 2017 (87 en 2016). Le nombre d’éleveurs de trait du Nord est passé de 150 à 125 en 2002, puis à 92 en 2007 , 87 en 2013 et 66 en 2023.
En 2023, le Trait du Nord reste considéré par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) comme une race chevaline française menacée d’extinction. Puisse Le syndicat d’élevage du Cheval Trait du Nord sauvegarder ce cheval emblématique de notre région.
Sources :
La Vie à la campagne : travaux, produits, plaisirs Revue pratique publiée sous la direction de M Maumené Numéro exceptionnel 15/10/1930 Volume LXV
L’élevage du «cheval lourd» dans la région Nord-Pas-de-Calais, son évolution G. Moine Hommes et Terres du Nord Année 1976 Collection Persée
Trait du Nord Wikipedia
Trait du Nord Association
Trait du Nord équipédia IFCE
Annuaire des étalons Trait du Nord 2023 –31 è édition