L’érémétisme est un mouvement religieux qui prend naissance à la fin des grandes persécutions contre les chrétiens, c’est à dire au début du IV e siècle dès lors que le christianisme est adopté comme religion personnelle par l’empereur Constantin. Cette nouvelle tendance religieuse est un moyen pour les âmes d’élite d’accéder à la sainteté. Cet accès prend alors deux formes différentes, opposées et indépendantes l’une de l’autre.
La première voie est une forme de vie monastique en communauté et se matérialise du Ve au X e siècle par la construction de monastères. Ces âmes d’élite sont ainsi des aristocrates et sont connus dans notre région : St Vincent Madelgaire à Hautmont et son épouse Waudru (de Cousolre) à Mons, Rodobert puis Humbert à Maroilles, Ste Hiltrude à Liessies, Aldegonde ,sœur de Waudru, à Maubeuge.
En parallèle une seconde voie radicalement éloignée est une forme de vie anachorète concrétisée par un retrait d’individus dans le « désert » pour se consacrer à la prière et à des exercices de pénitence. Ces « solitaires » refusent les institutions monastiques . Selon les tendances politiques et ou religieuses de certaines périodes de notre histoire, ces ermites sont parfois considérés soit comme des individus admirés pour leur idéal de perfection et leur quête de sainteté , soit jugés comme des êtres asociaux , des vagabonds, des « inutiles » avec leur présence parfois proscrite par certains évêchés.
L’ermitage est donc le lieu de vie de ce ou ces ermites. Il est l’endroit représentant le retrait total du monde pour se livrer à des prières et des méditations. Il se situe généralement dans des lieux isolés, boisés et à proximité d’une source. Un enclos protège les bâtiments vétustes, une chapelle et un jardin. Progressivement l’’ermitage devient un lieu où, non seulement on peut s’isoler, mais aussi rester en contact avec le monde : on porte assistance au voyageur, on évangélise et on éduque la population rurale. Là aussi ce rapprochement avec la société est toléré ou non selon les époques. Notons ici qu’une première vague érémitique est favorisée entre 1580 et 1620/1630 suivie d’une seconde entre 1645 et 1660. La portée de cette effluence doit être conséquente puisque le synode réuni à Cambrai en 1661 par l’archevêque Gaspard Nemius, demande aux doyens de chrétienté, dans son article 44, de convoquer les ermites de leur circonscription pour leur lire leur statut et de chasser ceux qui ne les respectent pas après trois observations. En 1714, l’évêque Fénelon, à contre courant des idées de Louis XIV élabore un modèle de statut des ermites. Cet opuscule -in octavo- définit et décrit dans une première partie la vie érémitique tandis qu’une seconde partie consacrée au sens profond de la prière est un véritable argumentaire en faveur de l’état érémitique. Ainsi la vie quotidienne des ermites est rythmée entre prière, lecture et travail, celui-ci ayant trait au textile, à la vannerie, au bois et au jardinage. Le sens profond de la prière consiste à réciter chaque jour la messe et à se rendre à la paroisse le dimanche pour l’écouter et y communier.
L’étude ici consiste au recensement des ermitages au sein de notre région, l’Avesnois actuel, qui s’inscrit dans le diocèse de Cambrai. Malgré le nombre limité de sources, j’ai pu relever huit emplacements d’ermitages dont six avérés et cinq encore occupés au début du XVIII e siècle. Ces chiffres témoignent de l’importance de ce mouvement sur notre territoire. Le Status Generalis dioecesis Cameracensis de 1724 confirme cette tendance en nous révélant qu’à cette date le diocèse de Cambrai compte 29 ermitages occupés dont 22 dans les Pays-Bas autrichiens contre seulement 7 dans le royaume de France. Il précise également le nombre d’ermites par établissement.
Les ermitages de notre région sont importants et plusieurs ont traversé les siècles. En effet certains ont une tradition très ancienne comme celui de la Haie d’Avesnes qui remonte au XII e siècle ou celui de Villers-Sire-Nicole fondé en 1367. Il est temps d’énumérer nos huit fondations en commençant par les plus anciennes connues. L’énumération consistera à transcrire les textes relatifs à ces établissements.
1 L’ermitage de la Haye d’Avesnes ou de Saint-Hilaire :
« Arrentement d’une petite queue de bois dépendant de la Haye d’Avesnes nommée la Hayette de Fusseau gisant sur le chemin allant de la Croix de l’Hermitage audit Fusseau contenant 7 rasières 3 coupes d’héritage laquelle fut adjugée au nommé Jean de Lattre comme plus offrant et dernier enchérisseur par les officiers de la terre et pairie d’Avesnes à charge de la tenir en foy et hommage et fief ample de la ditte pairie d’Avesnes et d’en rendre et payer annuellement au jour de Noël 8 livres 6 sols tournois de rente héiritière et perpétuelle à l’acte de cet arrentement est attaché le certificat du mesureur sermenté sur la consistance de ladite queue de bois datte du 12 nov 1547 ».
SAHAA Tome XIV Année 1932 page 71 (Société Archéologique et Historique de l’Arrondissement d’Avesnes-su-Helpe)
Cet arrentement nous apprend que Fusseau, hameau de Saint-Hilaire se trouve dans la Haye d’Avesnes. Aussi son ermitage porte indistinctement les deux noms.
Haie d’Avesnes
« Je citerai aussi la statue en bois, provenant de l’Hermitage, don de M. Duvaux d’après qui cette statue représenterait Saint-Hubert et son chien. D’autres personnes compétentes croient qu’elle represente St Gilles (AEgidius) patron des ermites accompagné d’une biche. Pour d’autres enfin il s’agirait d’un personnage féminin.»
SAHAA Tome 1938 page 30
« Don de M Duvaux à notre musée : Il s’agit d’une statue en bois du 15e siècle, dite de St-Hubert, avec son baldaquin de style italien du 16e siècle, provenant de l’Ermitage de la Haye d’Avesnes».
SAHAA Bulletin Annuel N ° 1 Années 1929 1930 page 49
« Lettre adressée le 16 janvier 1647 par les Hermites de l’Hermitage de la Harye d’Avesnès à l’Abbé de Maroilles, dont voici le texte :
Monsieur et Révérend Prélat,
« Nous remercions humblement votre Seigneurie de la libérale charité qu’elle lui a plu de nous faire pour la solennité de notre glorieux Patron St Antoine et serons tenus de le prier toute notre vie, d’intercéder le Seigneur afin qu’il veuille maintenir votre Révérence en longues années, en toutes bonnes prospérités et bonne santé.
Quant au péril qu on a dit à votre Révérence avoir eu la Haye d’Avesnes, nous n’en avons ouy parler. Pourquoi nous supplions votre Révérence, tant qu’il nous est possible, de vouloir honorer notre Patron de sa personne et promettons d’aller au-devant de votre Révérence avec quatre ou cinq fusils, jusques à Taisnieres. Espérant que votre Révérence nous fera cet honneur, nous demeurons, de votre Révérence, les très humbles et petits serviteurs.
Les Hermites de l’Hermitage de la Haye d’Avesnes
Cette lettre a été copiée par le Chanoine Peter aux Archives Départementales du Nord, Série H , Maroilles n° 438 ».
SAHAA Tome XII Année 1928 page 95
Saint-Hilaire-Sur-Helpe
« Monsieur Leclercq signale, à l’attention de la Société, la prochaine disparition de l’Hermitage de Saint-Hilaire, démoli par son propriétaire actuel dans l’espoir d’y trouver des trésors.
Cet Hermitage fut habité, avant la Révolution, par des religieux mendiants. Ils faisaient l’école à une quarantaine d’enfants de Saint-Hilaire et de Saint-Aubin, au moins l’hiver ».
SAHAA Tome III Année 1910 page 65 et 66
« Le Président dit avoir trouvé dans les archives des pièces où il est question d’un Simeon Leveau, tailleur d’images pour Madame Louise d’Albret. Il habitait Avesnes mais son père était originaire de St-Hilaire. Peut-titre doit-on à cette famille quelques uns de nos fameux étables de Ramousies ou de Roubaix. Il y avait à l’Hermitage de St-Hilaire beaucoup de sculptures intéressantes dont M. Duvaux a pu recueillir une partie.
SAHAA Tome XI Année 1924 page 346
« Cet Ermitage, qui parait avoir été fondé au XIIe siècle, était situé dans le bois de la Grande Croisette, à 2 kilometres et demi de l’église actuelle de Saint-Hilaire. II etait habité par des religieux dits de St-Antoine, sous la règle de St-Augustin. II dépendait de la Terre et Pairie d’Avesnes, dont les seigneurs, jusqu’à la Revolution de 1789, subvenaient à ses besoins. Les ermites etaient généralement au nombre de six : deux, dont le superieur, étaient chargés de I’Ecole, où venaient s’instruire de nombreux enfants de Saint-Hilaire, Saint-Aubin. Saint-Rémy. Les frères se dévouaient aux soins des malades et composaient un onguent pour les plaies, dont le secret est aujourd’hui perdu. Deux frères s’occupaient de la cuisine, de la boulangerie, de la brasserie, de la culture de I’enclos, le bel étang qui existe encore leur fournissait le poisson.
Sept sentiers conduisaient de l’Ermitage aux diverses agglomerations voisines ».
SAHAA Tome XII Année 1928 page 58
« En faisant le dépouillement et l’inventaire des papiers de l’ancien ferme échevinal de Saint-Hilaire-sur-Helpe, notre attention fut attirée par un nom figurant dans les titres de l’ermitage de la même commune -/celui de Jean Le Veau, fils de Siméon Le Veau, tailleur d’imaiges à Avesnes, auparavant tailleur d’imaiges de la princesse Louise d’Albret et de la Maison de Croy.
L’ermitage possédait dans sa chapelle outre la statue de la princesse d’Albret, quelques saints en bois sculpté et un retable d’autel dû aux talents de Jean Le Veau suivant la note de 1528 jointe aux papiers de cette maison, aujourd’hui déposés aux archives nationales fonds d’Orléans.
Ce retable, dispersé à la révolution et dont nous avons recueilli des fragments représentait au centre la passion du Christ et sur les côtés des épisodes de la vie de saint Antoine ».
SAHAA Tome 1930 page 14 et 15
Doyenné d’Avesnes : La Haye d’Avesnes 2 ermites en 1716 et en 1724
2 L’ermitage de Villers Sire Nicole :
« Un habitant de Villers, Jacques Rouillis, avait en 1367, dans un moment de colère, tué son fils. En expiation, il fit un pélerinage en terre sainte et à sa rentrée, it voulut se retirer du monde. A cette intention, it fit construire, sur la rive droite de la Trouille, un ermitage. Ouelques années après, il eut un compagnon en la personne de Englebert de Grez, seigneur de Rouveroy, qui ayant tué le seigneur d’Harmegnies se fit aussi ermite. Ce seigneur de Rouveroy fit differents dons à l’ermitage pour l’entretien d’un chapelain et d’un écolatre (24). Dix écolatres donnèrent l’instruction aux enfants du voisinage jusqu’en 1789 ; aussi on remarque très peu d’illettres à Villers-sire-Nicole au XVIII e s. (25) ».
(24) Piérart : Recherches Historiques Maubeuge p 28 à 34
(25) Cte Fontaine de Resbecq. L’Histoire de l’enseignement primaire avant 1789 p 118
SAHAA Tome XV Année 1935 page 164.
Doyenné de Maubeuge : Villers-Sire-Nicole 3 ermites en 1716 et en 1724
3 L’ermitage de la Forêt de Mormal :
LES SUPPLIQUES DE DEUX FRERES LAIS DU COUVENT DES RECOLLETS DE LA FORET DE MORMAL
« Le 1er mai 1790, le couvent des Récollets de la forêt de Mormal, appelé encore l’Ermitage, et situé sur le territoire de Locquignol, contenait douze religieux : sept pères, tous prêtres, et cinq frères laïcs. Cela résulte de l’« état des religieux profès du couvent », dressé ce jour-là par le maire et les officiers municipaux de la vile du Quesnoy, et que les Archives nationales nous ont conservé en F 19/610. Or, les dossiers Caprara nous apprennent que deux des cinq frères laïcs, Frère Célestin Rappe et Frère César Valengin, se sont mariés pendant la Révolution et ont, après le Concordat, sollicité du cardinal-légat la convalidation de leur union ».
Leurs suppliques leur furent accordées.
SAHAA Tome XVI Année 1936 page 212 à 217
Vous pouvez consulter trois autres articles sur cet ermitage sur mon site à la page http://patrimoine-avesnois.fr/chemin/la-foret-de-mormal/
4 L’ermitage du Bois du Tilleul à Sous-le-Bois :
«Duvaux rappelle qu’il y avait un second Hermitage, celui du Bois du Tilleul, à Sous-le-Bois, les hermites existaient encore en 1789, adonnés à l’éducation de la jeunesse et tenant depuis longtemps un grand nombre d’écoliers».
SAHAA Tome XII Année 1928 page 95.
Doyenné de Maubeuge : Maubeuge-Le Tilleul 1 ermite en 1716 et en 1724
5 L’ermitage du Bois de Louvignies (Hargnies) :
« Ce qui est sûr c’est qu’on découvre en divers endroits, dans les terres hautes, le sommet des voûtes de l’aqueduc, que le vulgaire appelle buises, surtout à l’Hermitage du bois de Louvignies, marqué à la carte ,28…».
SAHAA Tome X Année 1912 page 94 – 115
Le Bois de Louvignies se situe de nos jours sur la commune de Audignies. Il s’étendait auparavent également sur Hargnies.
Le chemin du Bois de Louvignies traverse sur une petite centaine de mètres le territoire de La-Longueville et se prolonge sur la commune de Hargnies portant ici le nom de rue de l’Ermitage. Celui-ci devait donc se trouver à Hargnies, l’étendue boisée couvrant alors une partie de ces trois villages.
Doyenné de Bavai : Louvignies 2 ermites en 1716 et en 1724
6 Maison de l’Ermitage à Dourlers :
« Près de cet hospice *, sur une maison nommée l’Ermitage, se trouve au-dessus d’une porte une pierre armoriée portant le millésime 1610. Au hameau du Mont Dourlers, il existe encore un bâtiment surmonté d’un petit clocher et qui fut érigé ou du moins doté au 15è siècle par Maillard et Cassine Leclercq, sa femme, pour servir d’asile aux pèlerins, aux voyageurs indigents et même aux mendiants….De l’hôpital proprement dit, il ne reste que la chapelle…. chapelle sous l’invocation de Saint Julien ».
SAHAA Tome VII Année 1907 page 267.
Cet ermitage de 1610 ou de 1619 selon les sources n’existe plus en tant que tel au début du XVIII e siècle. Selon moi, au siècle précédent, il pourrait avoir été le lieu où un ermite était alors le garde-chapelle de ce lieu de pèlerinage.
7 L’ermitage de Beaufort :
Le Hameau de l’Ermitage est cité sur le Cadastre de 1848 vue 9 / 21. Il n’y a pas de source relative à cet ermitage qui semble très ancien mais le hameau et la ferme portant le nom confortent ici la présence de cette fondation.
https://inventaire.hautsdefrance.fr/dossier/ferme-de-l-ermitage/7e3af136-b560-427d-bbf0-9c13223b0b15
8 Vendegies-au-Bois :
Ici aussi sur le cadastre de 1831 apparait le canton de l’ermitage, suspectant l’ancienne présence d’un ermitage, dont l’ implantation pourrait avoir été antérieure au XIV e siècle et favorisée par le seigneur local. En effet le fief de la Mouzelle est mentionné dès 1394, consistant en une » Maison-Forte, entre Romeries et Vendegies…». Simon Le BOUCQ, historien de la ville de Valenciennes, en fut le seigneur avant que son fils Denis Le BOUCQZ (1619-1664), Seigneur de la Mouzelle et Prévôt de Valenciennes le tienne : « le 19 juin 1652…la seigneurie de La Mouzelle… conprendant en maison de censse, chambre, grange, colombiere, jardinage enclos deau et de fossez proche Vendegies au Bois…». (ADN B 12116 – f°199)
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